mardi 5 novembre 2013

Longues peines, Jean Teulé




Dans la cellule 203, ils sont quatre : Jacky Coutances a probablement tué trois de ses amoureuses; Sergueï Kazmarek a rendu hémiplégique une jeune mariée ; Pierre-Marie Poupineau a un goût immodéré pour les petits enfants. Et Sébastien Biche, instituteur fragile, a, dans un moment d'épuisement et de folie, tué son bébé en lui cognant la tête contre la cheminée. Dans la 108, croupit Corinne Lemonnier, monstre femelle qui offrait ses neveux et ses nièces aux plaisirs sadiques de son amant. Jacky aime Corinne et Corinne aime Jacky. Ils ne se connaissent que par les mensonges amoureux qu'ils échangent en hurlant, chacun collé aux barreaux de leur fenêtre respective. Ainsi va la prison, entre crises d'amour et coups de démence, le ronronnant barnum de la cabane aux forcenés…

Inutile de rappeler que j’aime la verve de Jean Teulé, son côté provocateur, son talent pour utiliser la ou les histoire(s) anodine(s) pour en faire l’Histoire d’un roman. Fiction et réalité se mêlent, se confondent dans un ballet qui abolit toute frontière entre ce qui est ou ce qui n’est pas.

En temps normal, l’univers carcéral ne m’attire pas du tout. Cela va même plus loin, il m’effraie. Beaucoup trop de noirceur, de violence contenue ou non pour ma sensibilité à fleur de peau. Mais on parle de J. Teulé, qui m’a fait aimer une sériale killeuse bretonne dans Fleur de Tonnerre. J’ai donc plongé les yeux fermés. 

Et une fois de plus, je ne suis pas déçue. Il a une empreinte très reconnaissable dans l’écriture, qui peut paraître lassante, ou peut donner la sensation qu’il ne se renouvelle pas. Mais moi, j’adhère complètement à cette plume au lyrisme moderne, agressive, cynique et qui porte un regard acerbe sur ce qui nous entoure.

Ce récit est, comme d’habitude, inspiré de faits, de délits et de personnes réels. Si leur passé est lourd, leur présent l’est aussi, tout comme la vision de ce qu’ils vivent au quotidien dans ce huis-clos palpable et oppressant. Mais l’univers carcéral est impitoyable pour tout le monde, même pour les fonctionnaires qui y travaillent, ni anges, ni démons, juste des hommes, comme les prisonniers.

Et je dois l’avouer, j’ai souri, à plus d’une reprise, -alors que le lieu où je me trouvais ne s’y prêtait pas du tout-, devant l'absurde de certaines situations. Mais comme le dit si bien l'un des protagonistes du roman, "Tu sais, [...] les êtres qu'on nous amène ici, on pourrait directement les conduire à la bibliothèque, ce sont tous des romans. Et s'ils ne le sont pas encore, ils le deviendront ici."  

Ma gorge s'est également serrée, aussi bien pour les prisonniers, que pour les gardiens ou même le directeur, -qui aime tellement sa femme qu'il cède à tous ses caprices, allant même jusqu'à nourrir son déséquilibre psychologique-, tous unis finalement dans une même tentative de survie. Cette folie qui guette les prisonniers quand les portes se referment, ne laisse pas indemne le personnel, qui a lui aussi son histoire, sa place finalement dans un roman. 

Des témoignages de ce même personnel intègrent et jalonnent le récit, fond de vérité qui sort des tripes et qui m’a émue jusqu’à la moelle.

Et une fois de plus, j’ai eu de la tendresse pour ces hommes et ces femmes du présent, au passé parfois détestable, à la folie profonde, et qui tentent de respirer, tout simplement… Il n’y avait que J. Teulé pour faire cela.

12 commentaires:

  1. Le semble semble rempli d'émotions. Je ne connaissais pas du tout, et le nom de l'auteure ne me dit rien (ou alors j'ai oublié), donc une totale découverte pour moi.

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    1. C'est l'auteur du Magasin du Suicides, qui est plus connu.
      J'aime beaucoup son style, parfois cru, mais où chaque mot est pesé, senti. Je ton est grave, mais teinté de la légèreté du cynisme...
      Il part de faits réels pour tisser la trame de son roman, et a le don de susciter de la compassion pour des personnages que tu aurais détestés en temps normal... J'aime vraiment beaucoup...

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    2. hmmm celui ci ne me dit rien non plus. Oui j'ai une culture d'enfer je sais. Je regarderais en librairie si je tombe dessus je pense.

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    3. Pour commencer avec Teulé, le Magasin des Suicides est le mieux (sauf si le sujet est délicat pour toi). Il est, malgré le titre, très léger, et a beaucoup de 2d degré...
      Et pour la culture, ta culture est différente de la mienne, c'est tout... c'est ça qui est intéressant je trouve!

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  2. Depuis le temps que je me dis que je dois découvrir les livres de cet auteur il faudrait peut-être bien que je me décide...

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    1. N'hésite surtout pas... Il a un style vraiment à part je trouve, on aime ou on déteste. Moi j'adore...

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  3. Je vois souvent le nom de cet auteur revenir sur les blogs, mais j'avoue ne jamais l'avoir lu. Tu me conseillerais quel titre pour commencer ?

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    1. Sans hésiter, le magasin des suicides (malgré le titre et si ce n'est pas un sujet délicat pour toi)... Il est bourré d'humour, de dérision, et fait un bien fou!

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  4. je crois que je vais l'ajouter à ma liste d'envies!

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  5. Bonjour,
    j'ai découvert ton avis via babelio où je suis moi-même inscrite.
    J'ai aussi lu ce livre et j’ai trouvée les personnages attachants et l’auteur nous parle vraiment bien de leur passé.
    J'ai moi aussi un blog de chronique littéraire spécialisé dans les polars et les thrillers.(http://fais-moi-peur.blogspot.fr/)
    N'hésite pas à venir dessus si tu as envie qu'on parle des livres que tu as aimé, tu m'en fera peut-être connaitre et j'espère que je ferais de même.

    A bientôt j'espère et bonne continuation pour ton blog.

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    1. Merci de ton passage!! Je vais aller me promener sur ton blog!

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