vendredi 30 octobre 2015

Pour un jour avec toi, Gayle Forman

Peut-on tomber amoureux en seulement un jour ? Un voyage vers la connaissance de soi-même et le grand amour par l’auteur de "Si je reste". Allyson « Loulou » Healey, sage Américaine, rencontre Willem de Ruiter, acteur hollandais ténébreux lors d’une représentation théâtrale en Angleterre. Une étincelle se produit. Elle le suit alors à Paris où ils vont passer une journée inoubliable. Mais, le lendemain matin, quand elle se réveille, Willem a disparu. Allyson commence alors un long voyage afin de guérir de son premier chagrin d’amour, se libérer de ses chaînes et, un jour, retrouver l’amour.

Qui n'a jamais rêvé un jour de faire quelque chose de complètement fou, de franchir les limites que le contexte social, l'éducation imposent ? Qui n'a jamais rêvé un jour de s'évader, juste un peu, pour goûter à une liberté qui fait souvent défaut.

Allyson est une adolescente comme les autres, sur le point de devenir adulte, à l'heure l'on doit prendre des décisions pour son avenir. Rien de plus facile n'est-ce pas, surtout quand l'avenir semble tout décidé. Tu feras ci, tu iras là... C'est pour ton bien, on sait ce qu'il te faut. Pourquoi pas ? Mais et les rêves dans tout cela ? Et l'envie ? Un voyage en Europe va bouleverser sa façon de voir les choses, une rencontre va faire vaciller des certitudes qui n'ont jamais été les siennes.

Si vous vous attendez à une romance au sens strict du terme, il faudra passer votre chemin. Pour un jour avec toi est avant tout un roman initiatique, celui vers le passage à l'âge adulte, celui sur la réflexion sur soi, sur comment atteindre le bonheur en faisant des choix. Les bons choix.

Le regard de Gayle Forman suit Allyson qui a tout pour être heureuse, mais à qui il manque l'essentiel, la connaissance de soi. Qui est-elle hormis l'enfant parfaite de parents en apparence parfaits ? Une mère un peu dépressive mais rien de dramatique, un père qui travaille énormément, rien d'anormal finalement, une adolescente qui étudie, beaucoup, pour atteindre un rêve. Le sien ? Elle ne sait pas. On a tracé sa ligne de vie et le chemin est facile. Des études, médecine, chirurgien... Sauf que, si on gratte un peu ce vernis, si on va au-delà des apparences, Il y a quelque chose qui cloche dans ces rouages, un grincement à peine audible, qu'on ne perçoit pas vraiment. Allyson n'est pas heureuse, mais elle ne le sait pas.

Sa rencontre avec Willem va tout bouleverser. Véritable électron libre et mystérieux, il va lui faire vivre le rêve d'une nuit. Une nuit qui change tout. Une nuit qui dévaste, mais qui va permettre de se reconstruire, ou plutôt de se construire. Et à travers la quête de Willem, cette recherche qui ne mènera peut-être à rien, Allyson entreprend sa propre quête, vers qui elle est.


J'aime beaucoup les romans de Gayle Forman qui sont souvent habités d'une profondeur qui amène bon nombre de questions et qui peut déranger d'ailleurs. Le passage à l'âge adulte est un moment crucial dans une vie, celui où tout peut changer, basculer, celui où on peut tout rater. Il n'y a jamais rien d'inéluctable, mais tout se complique dans ce cas-là. Et Gayle Forman décrit ce fameux moment avec une délicatesse immense, mais aussi avec une acuité déstabilisante. Une vraie réussite.

La chronique de Johanne, ici

dimanche 25 octobre 2015

La morsure du givre, Mercy Thompson, tome 7, Patricia Briggs


Pour Mercy Thompson, mariée depuis peu à Adam Hauptman, charismatique Alpha de la meute locale, ç'aurait dû être un Thanksgiving paisible en famille. Elle était loin d'imaginer que faire du shopping avec sa belle-fille Jesse risquait de virer au cauchemar. Et pourtant, lorsqu'elle ne parvient pas à joindre Adam, ni aucun membre de la meute, la jeune femme sait que ceux qu'elle aime courent un grave danger. Aidée par des alliés improbables, Mercy va devoir une fois de plus voler au secours des siens.

Si j'étais le lapin d'Alice au Pays des Merveilles, je m'écrierais, la montre à la main « Je suis en retard, je suis en retard ! » et mes jambes s'agiteraient frénétiquement dans une course sans fin contre ce maudit temps qui passe. 


Mais je ne suis pas le lapin, alors je tairai le retard que je peux avoir dans mes chroniques, à quoi bon se torturer ! (Et puis, comme je vais parler de loups, il vaut mieux éviter de mentionner le mot "lapin"!)

Me voilà replongée dans l'Urban fantasy, et replongée jusqu'au cou. La responsable est Anne Bishop et son tome 2, « Volée Noire » dont la chronique viendra dans la semaine (quand je vous dis que j'ai du retard...). Enfin, à bien y réfléchir, Melliane a aussi sa part de responsabilité dans ma rechute. Elle me nargue sans cesse sur son blog, et ses attaques avec Anne Bishop m'ont été presque fatales (allez jeter un coup d'oeil ici, ou encore ici ou bien et vous comprendrez!), et en plus, grâce à elle, ce tome 2 a atterri dans ma PAL. Dans cette histoire, je suis aussi innocente que l'agneau qui vient de naître, surtout que j'aurais résisté à la tentation, c'est une évidence. J'ai lu Volée Noire d'Anne Bishop, que j'ai adoré et qui m'a laissée dans un profond désarroi, celui de ne pas avoir le 3 sous la main (Melliane : Sans commentaire hein ! A cause de toi je bascule déjà du côté obscur de la force!). Ne me restait donc que ma bibliothèque pour remonter mon petit moral en berne. Après quelques hésitations (pas si facile que cela le choix d'un livre!), j'en ai extrait la série de Mercy Thompson que j'avais laissée de côté.

A la lecture du tome 6, Je n'avais pas ressenti cet enthousiasme qui vous prend aux tripes et qui vous laisse pantelante une fois la dernière page tournée. Il manquait d'action, et j'avais craint que Mercy ne sombre dans les méandres d'une Anita Blake. Malgré tout, femme prévoyante je suis, et j'avais le tome 7 dans ma PAL, sait-on jamais (et là c'est la faute du Chat du Cheshire, je me souviens parfaitement avoir acheté cet ouvrage après la lecture de sa chronique du tome 8. Agneau je demeure...).

[ Immense soupir de soulagement] :Mercy n'a rien à voir avec Anita, mais alors rien du tout, et c'est tant mieux !

La politique dans ce monde en mouvement est de retour, les tensions, les retournements aussi... Les loups ont fait leur coming out, et suscitent bien des émotions, et des intérêts. Adam en fait les frais, il disparaît. Mais si cela ne s'arrêtait que là. Mercy est devenue sa compagne, il est l'Alpha, elle a donc un rôle à jouer dans la meute et ce n'est pas toujours simple.

Je craignais que Mercy ne devienne une super héroïne qui se découvrirait au fil des tomes des pouvoirs toujours plus puissants et écrasants, mais non. Elle reste un coyote, avec ses caractéristiques de coyote. Elle est consciente de ses différences, qui nuisent d'ailleurs à son intégration mais tente de les mettre au service de la meute, ce qui est une tâche ardue quand on a un fond solitaire.

Le couple qu'elle forme avec Adam est très présent, et je n'ai pas pu m'empêcher de soupirer avec soulagement en découvrant que Patricia Briggs n'avait pas l'intention de lui trouver X soupirants qui remettraient tout en question. Sa relation avec lui avance, ils doivent apprendre les subtilités de leur lien, comment se comporter. Adam est.... [… Mode craquage : vraiment trop Choupinou!...] Il va contre son instinct pour que Mercy préserve ce qu'elle est. [Je vous assure qu'il est tout choupinou...]

J'ai aimé les voir évoluer et j'ai apprécié que l'auteure n'estime pas nécessaire de jalonner son récit de scènes de sexe gratuites. Elle préfère s'attarder sur le fonctionnement de la meute, les codes, l'évolution en créant un monde solide et cohérent.

La dernière page tournée, j'ai poussé un autre soupir de soulagement. J'avais le tome 8 dans ma PAL ! (Et je suis sûre que je vais bien trouver un responsable à sa présence!)


PS : Si quelqu'un a la recette magique pour avoir des journées de 36 heures, je suis preneuse ! 

mardi 20 octobre 2015

Une autre vie, S.J. Watson

Elle aime son mari... Elle est obsédée par un inconnu... Elle est une mère exemplaire... Elle est prête à tout perdre... Elle sait où elle va... Elle a perdu le contrôle... Elle est innocente... Elle est infiniment coupable... Elle a choisi une double vie... Elle pourrait bien perdre les deux. 
Julia mène une vie bien rangée à Londres avec son mari et son fils. Lorsqu'elle apprend la mort de sa jeune sœur, Kate, victime d'une agression à Paris, elle est sous le choc. Les deux sœurs, dont les relations n'ont jamais été faciles, s'étaient perdues de vue. Ne parvenant pas à faire son deuil, Julia décide d'aller sur place afin d'en savoir plus sur la vie que menait Kate. Elle apprend que cette dernière fréquentait assidûment les sites de rencontre. Le doute s'insinue alors dans son esprit : et si la mort de sa sœur n'était pas due à une simple agression mais à une mauvaise rencontre ? Ne pouvant se débarrasser de cette idée obsédante, Julia décide de se faire passer pour Kate sur le site que celle-ci utilisait. Mais, à l'âge des bilans, des remises en question, des ambitions laissées derrière elle, Julia ne réalise pas qu'elle est en train de jouer un jeu dangereux. Si elle a en effet raison sur les circonstances de la mort de sa sœur, elle prend tous les risques. Et en goûtant à une autre vie, plus excitante, que va-t-il rester de la sienne ?

A l'ère des nouvelles technologies, vies réelle et irréelle se confondent aisément. Internet est une porte ouverte vers les contacts humains. Les blogs en sont un bon exemple, ils sont source de belles rencontres. Mais internet génère également des dérives, des tromperies. L'on prétend être ce que l'on est pas, et comment être sûr de qui l'on a en face ? Il n'y a que des mots, souvent ceux que l'on veut entendre. Mais où est la vérité là-dedans ?

Julia vient de vivre un drame. Sa sœur a été assassinée à Paris et les policiers ignorent les circonstances de ce crime et qui en est à l'origine. La vie de Kate a toujours été à part, elle a toujours flirté avec les normes, les règles. Même quand il s'agit de son enfant, ce même enfant qu'elle a confié, très tôt, à Julia et que cette dernière élève avec Hugh, son mari. 

Mais il n'y a pas que Kate qui avait des secrets, Julia porte aussi les siens, et ils n'ont rien à envier à ceux de sa soeur.

J'avais adoré Avant d'aller dormir. Même plus que ça. Après cette lecture, j'avais eu du mal à lire de nouveaux thrillers, à chaque fois ils me semblaient bien fades en comparaison. Quand j'ai vu que l'auteure publiait un nouveau roman, je me suis ruée dessus, espérant goûter de nouveau aux sensations que m'avaient procurées son prédécesseur. Et ça n'a pas failli, je suis tombée dans les mailles du filet.

C'est une descente aux enfers que nous présente S.J. Watson, page après page. Une descente aux enfers progressive, parfois vers la limite de la folie. Julia n'accepte pas le décès de Kate, elle veut savoir, elle veut comprendre. Elle doute de la police et elle décide donc d'enquêter par elle-même, là où elle peut aller sans risque. Du moins apparemment. Elle décide de se connecter sur les sites de rencontres que fréquentait sa sœur. Kate ne cherchait rien de sérieux, juste des aventures d'un soir. C'était de son âge. Pas d'attaches, elle a toujours été comme cela. Et si, sur l'un de ses sites se trouvait l'assassin ?

Julia franchit l'interdit, elle se connecte, d'abord sur le compte de sa sœur, puis elle se crée son propre compte. Elle cherche, elle veut savoir. Et elle rencontre un homme. Rien de sérieux, ce n'est que pour sa quête vers la vérité. Mais tout bascule, elle ne sait pas trop comment. L'irréel devient réel, dans un hôtel londonien.

J'ai adoré suivre le parcours de Julia, son questionnement, son évolution. Cette femme endormie qui revit, pour sombrer finalement. Avant d'aller dormir m'avait surprise. Je n'avais rien vu venir. J'ai tourné les pages d'Une autre vie dans l'attente de cette surprise. Elle est arrivée, fidèle au rendez-vous, mais elle est arrivée un peu trop vite, trop brutalement, et je n'ai pu empêcher de poindre une once de regret devant ce développement trop rapide. Le roman est porté par une lenteur habile, machiavélique parfois et tout se précipite beaucoup trop lors des dernières pages. 

Malgré tout, S.J. Watson a le don de me réconcilier avec un genre que je lis peu ces derniers temps, et cela m'en ferait même oublier la fin.


lundi 19 octobre 2015

Un amour aussi grand que le désert de Gobi vu à travers une loupe, Tilman Rammstedt

Keith Stapperpfenning a été élevé par un grand-père excentrique et une ribambelle de « grand-mères » toutes plus jeunes les unes que les autres. Pour son quatre-vingtième anniversaire, toute la famille se cotise pour offrir au patriarche le voyage de son choix. Quand celui-ci annonce vouloir se rendre en Chine, c’est Keith, à son grand dam, qui est désigné pour l’accompagner.
Bien décidé à ne pas partir, il flambe l’argent du voyage au casino puis se terre chez lui. La situation se complique quand il reçoit un appel lui annonçant le décès de son grand-père. Keith n’entrevoit alors qu’une solution : inventer une histoire qui fera croire à tous que le voyage en Chine a bien eu lieu.

J'ai toujours rêvé d'aller en Chine. Voir la grande muraille, découvrir l'armée de terre-cuite, la Cité interdite... A dire vrai, je rêve aussi d'aller au Pérou pour grimper au Machu Picchu, en Egypte pour m'aventurer dans les pyramides, aux Etats-Unis pour contempler le Grand Canyon, et j'en passe. Mais je n'ai pas vraiment l'occasion de voyager avec mon rythme à 10 000 à l'heure.

Je m'égare, je parlais de la Chine. J'adorerais aller en Chine, et le grand-père de Keith aussi.

Les histoires familiales sont souvent bien plus complexes que les apparences ne veulent le laisser croire. Les vies s'écrivent au gré des évènements, des actes de chacun des membres et, il faut bien le dire, ces membres voguent rarement dans la même direction. 

Keith en fait l'expérience. Elevé par un grand-père manchot aux multiples grands-mères qui un jour a décidé qu'à cause de son jeune âge, Keith serait le seul à pouvoir être sauvé et recevrait donc toute son attention, il se voit contraint par un tirage au sort un peu facétieux entre la fratrie, d'accompagner le vieil homme dans sa dernière lubie : un voyage en Chine.

Rien de bien insurmontable me direz-vous. La Chine est quand même une destination qui fait rêver ! Oui, c'est vrai. Sauf que le grand-père a un âge avancé et une santé désormais fragile, qu'il n'a pas de passeport, qu'il est légèrement acariâtre et fantasque et que Keith, qui se cherche, n'a pas besoin d'un voyage initiatique avec lui pour trouver sa voie. Il a surtout besoin de mettre des distances avec le grand-père en question qui a la fâcheuse tendance à vouloir décider de tout et à l'étouffer. Donc non, il ne partira pas!

Mais c'était sans compter l'obstination du vieillard manchot qui décide de partir seul, en voiture. Seul Keith est au courant.

Commence un périple, ou plutôt un non-périple chinois raconté dans des lettres écrites depuis la cabane du fond du jardin du grand-père. Keith raconte à ses frères et sœurs leurs chinoiseries, les attitudes et réactions du grand-père, et surtout ce qu'il n'aurait jamais osé leur dire de vive-voix, ce qui est vraiment important. Les relations de la fratrie, les incompréhensions, les responsabilités, l'essence même de l'amour.

Jusqu'à ce que la morgue appelle. On vient de retrouver son grand-père qui est dans l'incapacité de voyager. A jamais.

Une lecture déconcertante que ce court roman, déconcertante mais agréable. En écrivant cette chronique, je me rends compte combien ce récit est dense malgré son peu de pages. Dense mais débordant d'humour et de légèreté, et aussi emprunt d'une profondeur qui ne m'a pas laissée de marbre. Petit bémol, la fin. Trop ouverte sans doute.


Merci à la Masse Critique Babelio pour cette lecture !

samedi 17 octobre 2015

Là où j'irai, Gayle Forman

Il y a trois ans, il l'a suppliée de rester. À tout prix. Et Mia est sortie du coma. Pour quitter Portland, peu après, pour le quitter lui. C'était le prix à payer. Et la voilà de nouveau en chair et en os. Ce soir, Carnegie Hall est à guichets fermés. Tout New York est venu admirer sa virtuosité au violoncelle. Et Adam s'est glissé dans la salle. Lui, la rock star à la vie dissolue, pourchassé par les paparazzis, il tremble... Souvenirs et mélodies affluent – retrouvailles en si majeur...
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Résumé des Chroniques de la Liste-noire-des-livres-interdits.
Une sombre menace plane sur nos livres-chéris, sur ces ouvrages qui nous transportent jusqu'à pas d'heure dans la nuit et nous font rêver encore et encore dans la journée : les Dieux-de-tous-les-trucs-de-la-mer-et-de-la-terre les ont déclarés « dangereux pour l'humanité », et nous somment, nous, les humbles lecteurs, de les leur livrer. Voici l'histoire de notre rébellion! 
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Les gargouilles me fixent de leurs yeux immobiles et mon corps est aussi figé que la pierre dans laquelle elles ont été sculptées. Je suis incapable de détourner le regard. Des chats se livrent à une rixe nocturne et leurs cris stridents déchirent la nuit.

– C'est fermé !
La main de Melliane est posée sur l'épaisse poignée qui garde l'entrée. Elle tourne dans le vide.
– Humpfff...
S'aidant de son épaule comme d'un bélier, Roanne essaye de pousser la porte, mais sans succès. L'église est vraiment fermée.

L'éclair d'un mouvement traverse mon champ de vision. Je reporte mon attention sur l'une des gargouilles. A-t-elle bougé ? Je plisse les yeux, espérant enfin apercevoir ce que mes rétines se refusent à voir. Elle est toujours aussi immobile. Illusion d'optique. Et sixième sens défaillant. Je devrais l'emmener à la révision. La gargouille n'a pas bougé d'un pouce.

– Eh, oh... Un peu d'aide ne serait pas de refus ! m'interpelle Roanne.
Les filles sont venues en renfort, épaules et dos plaqués contre le bois épais de la porte. Sans effet.
– On dit que l'union fait la force, alors c'est le moment, les filles ! tenté-je de les motiver en me joignant à elles et en poussant de toutes mes forces. 
Les semelles de mes chaussures glissent sur le marbre du parvis. Rien, l'église reste désespérément close.

– Quelqu'un peut me rappeler pourquoi on est devant une église ? ronchonne Johanne. Surtout qu'il pleut!
Pour corroborer cet état de fait, j'éternue bruyamment. Le porche de l'église n'est qu'un mince rempart contre les torrents de pluie qui s'abattent sur nous.
– Chuttt ! me fait Bea en me lançant un regard noir.

– Bon, comme on est là, il faut qu'on trouve un moyen d'entrer, réfléchit Melliane à voix haute. Il doit y avoir une porte de service, ajoute-t-elle.
– De service ?
– Ben oui, l'entrée des artistes...
L'entrée des artistes ? Mais nous ne sommes pas dans un théâtre ! Inutile de le lui faire remarquer, elle est déjà en train de longer l’église, les filles sur ses talons.

Lentement, nous faisons le tour du bâtiment. Je ne peux m'empêcher de jeter un dernier coup d'oeil à la gargouille. J'ai l'impression que son œil de pierre nous suit du regard. Ça doit être la pluie qui brouille mes sens, il n'est matériellement pas possible qu'une gargouille en pierre puisse nous suivre des yeux.
Je tape sur l'épaule de Lupa qui sursaute. Je ne suis pas la seule à être tendue.
– Hey, Lupa ! Tu n'as pas l'impression qu'elle nous regarde ?
J'ai besoin de vérifier, juste au cas où... Lupa se concentre quelques secondes.
– Non...
Elle me met la main sur le front et fait une grimace.
– Tu n'as pourtant pas de fièvre !
Non, mon sixième sens a vraiment besoin d'une révision, c'est tout !

Les filles ont disparu de l'autre côté de l'église. Au loin, des bruits de tôles froissées retentissent. Quelqu'un a dû griller une priorité. Nous hâtons le pas pour les rejoindre.

Melliane est maintenant juchée sur les épaules du Chat. Johanne s'est reculée de quelques mètres et tend le doigt vers un vitrail terni par les années.
– Il y a une ouverture là !
Elle trépigne d'excitation.

Je m'approche lentement. Effectivement, une plaque a été fixée tant bien que mal pour dissimuler un trou dans le vitrail. Elles veulent rentrer dans une église par un trou dans un vitrail ! Est-ce qu'on a le droit de faire ça ? Si le Dieu en question existe, est-ce qu'on ne va pas le mettre en colère ? Parce qu'on n'a pas besoin de nouvelle divinité contre nous. Il ne faudrait pas leur donner l'idée de faire un club...

Mes dents claquent, autant de froid que d'appréhension. On aurait dû voter pour savoir si on devait rentrer. Melliane a déjà passé l'avant de son corps, Bea et Lupa lui servent maintenant d'appui pour les pieds.

Pourquoi est-ce qu'on est là déjà ce soir ? Ah oui, pour sauver les livres-interdits de la colère des Dieux-de-tous-les-trucs-de-la-mer-et-de-la-terre. Là où j'irai en fait partie. J'avais adoré Si je reste et ses accents de violoncelle, mais je crois que Là où j'irai est plus haut dans la liste de mes coups de cœur. Suivre Mia et sa lutte pour la vie avait été une véritable tornade d'émotions, mais avec Adam, j'ai eu l’impression de rentrer dans l'oeil-même de la tornade. On oublie bien souvent qu'il n'y a pas que la personne touchée qui souffre d'un drame. Son entourage aussi en est victime. Comment agir ? Que faire pour aider ? Que faire pour combler la perte ? Et pas de réconfort possible pour eux, ils doivent être des piliers, ils n'ont pas subi.

C'est ce qu'à vécu Adam avec la tragédie de Mia. Il n'a pas été une victime, mais un pilier. Interdiction de penser à la perte qui l'a frappé lui aussi. Les parents de Mia ? Ce n'était pas les siens après tout. Le petit frère ? Idem. Et Mia qui n'est plus la même ? Il serait bien égoïste de se plaindre. Elle est encore en vie après tout. Jusqu'à ce qu'elle ne disparaisse, sans une explication, le laissant avec sa douleur et le vide de l'absence de ceux qu'il a perdus. Commence alors la descente aux enfers alors que son groupe de rock est propulsé sur le devant de la scène. Mais personne ne voit qu'Adam est brisé. Personne ne sait que le violoncelle résonne encore dans son corps et que son cœur bat au ralenti. Personne ne comprend qu'il n'est plus qu'un corps sans vie. Jusqu'à ce que sa route ne croise, par le plus grand des hasards, celle qui lui a tout enlevé mais à qui il ne peut rien reprocher. Et si la vie lui donnait au moins l'occasion de comprendre ?

– On va rentrer par là ? s'enquiert Lupa d'une petite voix hésitante tout en signalant le trou.
– Euh, je n'ai pas mon brevet de cambrioleuse, hésite Bea.
– On ne va pas cambrioler, on va sauver des livres... rétorque Le Chat.
– Dit comme ça... cherche à se convaincre Lupa.

Sauver des livres... Sauver une âme. Tout peut tellement changer en une nuit. Et si les filles avaient raison ? Si on pouvait tout changer, comme ça, rien que dans une nuit ? Voilà le récit d'Adam, ses explications, son être fragmenté... et sa reconstruction. Parce qu'en une nuit, tout peut changer.

Je fais un pas vers les filles.

– Le Chat a raison, il faut entrer.
Le Chat s'approche de moi à pas feutrés et me pose la main sur le front.
– Tu es malade ? Oui, tu as de la fièvre.
– Oui, finalement, elle a de la fièvre, corrobore Lupa. Elle a même vu une gargouille bouger !
Il va falloir que je réfléchisse à déposer un concept pour mon bazooka mental. Je me contente pour le moment d'adresser mon regard le plus noir à Lupa qui se contente de hausser les épaules avant d'ajouter.
– Hey, moi je m'inquiète pour toi, c'est tout !
Mais oui, mais oui... Je ne peux retenir un éternuement bruyant avant de protester.
– Non, pas du tout, je n'ai pas de fièvre! Et j'ai juste eu une impression avec la gargouille...
Johanne s'approche à son tour et renouvelle le rituel. Mon front est en passe de devenir une autoroute de la prise de température.
– Ben si, tu as de la fièvre. Tu dis que Le Chat a raison !
Bea et Lupa gloussent en silence.
– Mais j'ai toujours raison ! ronchonne l'intéressée.
– Je n'irai pas jusque-là, nuancé-je, mais bon ta théorie se tient.
– Quelqu'un pourrait m'expliquer pourquoi sa théorie se tient ? Parce que moi, il me faut une bonne raison pour rentrer comme ça dans une église, demande une Bea pas très rassurée.
– Et par un vitrail en plus... Et sans lampe-torche ! renchérit Lupa.
– Sans parler qu'on est à côté du siège des livres-addicts et que si on attend trop, on va se faire repérer, sifflotte Roanne.
– Et moi la Cerbère-Rousse, moins je la vois... poursuit Johanne.

Le Chat pousse un profond soupir de lassitude et sort le petit papier où Roanne a copié les prophéties.
– Les prophéties parlent "d'arche", et une église a des arches dans sa structure. Elles disent aussi que « le temps se confond », dans une église, il y a plusieurs temps mélangés, le passé, le présent et le futur...
– Mouais, répond Bea pas très convaincue.
Le Chat n'a pas le temps de continuer son explication.
– Euh, les filles, vous ne m'oubliez pas hein !
La voix de Melliane résonne depuis l’intérieur de l’église.
– Non, parce qu'il fait noir... En plus, ça sent bizarre ! Et j'ai l'impression que je ne suis pas seule...

Roanne pointe du doigt le trou dans le vitrail.
– Elle est dedans...


Bon ben, quand faut y aller, faut y aller...

jeudi 15 octobre 2015

Echo Saharien, Intagrist El Ansari

Dans le désert, la montagne, la campagne, en ville, n'importe où, il m'est vital de marcher. Marcher rejoindre le désert saharien, marcher pour visiter un ami, marcher pour me rendre au travail, marcher pour les courses, marcher pour marcher, mercher, c'est ainsi ! Marcher. Pourquoi ? Pour être libre et exorciser l'existence de ce monde. Jeune, je marchais sans raison. Aujourd'hui, marcher est indispensable. Un plaisir. Un besoin. Marcher pour « aller à l'essentiel », selon Sylvain Tesson. Marcher pour mieux penser. Marcher pour revenir sur terre. Je ne manque aucune raison de marcher. A Paris, où je laisse l'enveloppe de mes pieds chez le cordonnier, rue des Archives. Manque de mes pas, des heures durant, à travers les quartiers des vêtements, du design, des galeries d'art, des livres. Plus d'animations dans les premiers. Calme et tranquillité dans les derniers, un autre monde, rues et fenêtres qui sourient. Une librairie, un livre exposé d'Ibrahim Al Koni, l'écrivain, le poète Touareg : « La loi du désert stipule que rester plus de quarante jours à la même place, c'est tomber en esclavage. » Liberté perdue en tombant dans la sédentarisation. La retrouver dans le voyage... Poursuivre ma marche en solitaire, avec mon âme. Ne pas faire partie du lot, même un instant. Emerger enfin, garder ma liberté de pensée pour le départ immédiat ! J'entends l'écho qui interpelle du fin fond de l'espace désertique. L'incantation est là, subite ! Refus impossible. Appel de celui en qui coule le sang du désert. Le Sahara envahit mon esprit. J'entends déjà, intérieurement, le silence qui l'habite. Je pars ! Un retour dans le désert des Touaregs pour retrouver ses racines.

Marcher fait partie de l'essence même de ce que nous sommes. De tout temps nous avons marché : pour aller rendre visite à un voisin, pour accompagner les troupeaux en estive, pour aller à l'école, au marché. Aujourd'hui encore nous marchons : vers le travail, dans le supermarché pour faire les courses, sur le quai du métro. Mais ce simple geste, ce pas devant l'autre, a perdu de son sens. Nous n'avons plus le temps de marcher vraiment. Nous courons après un temps qui nous fait cruellement défaut, comme si nous cherchions à rattraper ces secondes que la vie frénétique que nous menons nous enlève.

« Echo saharien » narre ce retour vers soi, vers l'essence de ce que nous sommes, quand marcher est porteur de sens, celui de sentir le sable du désert sous ses pieds, de la chaleur qui mord le visage, du thé qui rafraîchit. Véritable retour vers les origines, cet appel du désert retentit au fond de chacun d'entre nous. Nous avons tous notre désert perdu, cette petite voix étouffée qui résonne dans notre cœur, mais souvent, nous ne l'entendons pas. C'est le voyage que nous narre Intagrist El Ansari, ce retour aux sources dans une langue simple, portée par la sincérité et servie par la très belle édition des Editions Langlois Cécile. Observer, sentir, prendre le temps pour retrouver qui on est au fil des rencontres. 

Une jolie lecture, un bel ouvrage. Un seul regret, que le 4x4 ait souvent remplacé la marche, malheureusement, c'est un fidèle reflet de notre monde.

Merci à la Masse Critique Babelio et aux Editions Langlois Cécile pour cette lecture !


mercredi 7 octobre 2015

La Septième vague, David Glattauer

Leo Leike était à Boston en exil, le voici qui revient. Il y fuyait la romance épistolaire qui l'unissait en esprit avec Emmi. Elle reposait sur trois principes : pas de rencontres, pas de chair, pas d'avenir. Faut-il mettre un terme à une histoire d'amour où l'on ne connaît pas le visage de l'autre ? Où l'on rêve de tous les possibles ? Où l'on brûle pour un(e) inconnu(e) ? Où les caresses sont interdites ? "Pourquoi veux-tu me rencontrer ?" demande Léo, inquiet. "Parce que je veux que tu en finisses avec l'idée que je veux en finir" répond Emmi, séductrice. Alors, dans ce roman virtuose qui joue avec les codes de l'amour courtois et les pièges de la communication moderne, la farandole continue, le charme agit...

Ma PAL abrite des romans qui sont des sortes de garde-fous pour les temps difficiles, ces moments où, alors que la frénésie du boulot m'aspire dans sa spirale infernale, je deviens hésitante sur le choix de mes lectures. De la romance ? Non, pas envie... De la littérature asiatique ? Non plus... Russe ? Non, non... Un peu de contemporaine française ? Bof... Une fresque historique ? Pourquoi pas, mais celles qui trônent dans ma bibliothèque font toutes cinq cents pages minimum, et cinq cents pages, quand on est fatiguée, surtout si on n'accroche pas, ça peut vite tourner au calvaire.

Dans ces mêmes moments, l'angoisse me guette, tapie dans l'ombre de mon cerveau. Je dois lire, j'en ai besoin, je le sais... La panne de lecture est un concept qui m'est étranger. Lire, oui, mais quoi ? Arggg... Mes ongles souffrent, mes mains entament un ballet avec ma bibliothèque, sortant les ouvrages, les feuilletant pour les remettre finalement en place. L'indécision. Quoi de pire ?

C'est la raison pour laquelle j'ai des livres garde-fous... Ces livres dont je sais que l'histoire m'accueillera tout de suite, dont l'histoire me bercera et dont la fin me laissera un sentiment de bien-être. Parce que les livres garde-fous, ils me sont essentiels...

La Septième vague fait partie de ces romans-parapluies qui s'ouvrent pour affronter les vents et les pluies de la tempête de travail, de ces romans qui vous emmènent à mille lieux de votre quotidien pour vous murmurer des mots doux à l'oreille.

L'ouvrage commence peu de temps après le moment où s'est terminé Quand souffle le vent du nord. Emmi et Léo ne comprennent pas ce qui leur est arrivé. Cette rencontre, d'abord superficielle, quelques bons mots échangés par mail, puis des courriers plus consistants, cette relation naissante, de l'amitié, et puis quoi ?

Difficile de faire cohabiter ces deux existences, ces deux univers. Difficile de croire que tout est possible.

La Septième Vague sera le tome des décisions, de ce que l'on veut, de ce que l'on est prêt à faire, pour soi d'abord, puis pour et avec l'autre.


Cette déferlante qui s'est abattue sur moi n'a pas failli. J'ai retrouvé avec plaisir la correspondance d'Emmi et Leo, ces courriers modernes où l'on ose se dire des choses qu'on ne se dirait peut-être pas dans la réalité. L'heure des doutes est là, mais cette relation née d'un irréel s'ancre dans le réel. Je ne veux pas trop en dévoiler pour ne pas gâcher votre lecture, mais sachez juste que j'ai tout autant apprécié cet ouvrage que Quand souffle le vent du nord. J'ai retrouvé cette légèreté teintée de gravité, cette langue agile et tellement agréable à lire, ce questionnement vers le changement. J'avais bien raison, La Septième Vague était un garde-fou...