Le
lendemain des obsèques de sa mère, Kate Malone reçoit l'appel
d'une certaine Sara Smythe, qui dit être une amie de ses parents.
Face au scepticisme de Kate, elle lui confie un manuscrit. L'histoire
de plusieurs vies entremêlées un demi-siècle auparavant. 1945.
L'Amérique se remet de la guerre. Mais, très vite, les heures
noires du maccarthysme résonnent, avec leur cohorte de trahisons et
de lâchetés conformistes. Et dans la tourmente, l'histoire des
Malone s'écrit.
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Résumé
des Chroniques de la Liste-noire-des-livres-interdits.
Une
sombre menace plane sur nos livres-chéris, sur ces ouvrages qui nous
transportent jusqu'à pas d'heure dans la nuit et nous font rêver
encore et encore dans la journée : les
Dieux-de-tous-les-trucs-de-la-mer-et-de-la-terre les ont déclarés «
dangereux pour l'humanité », et nous somment, nous, les humbles
lecteurs, de les leur livrer. Voici l'histoire de notre rébellion!
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Toc,
Toc...
Je
remonte ma couette jusqu'à mon menton.
Toc,
Toc, Toc, Toc...
Les
coups contre ma porte résonnent de façon saccadée. Ma couette
atteint mon nez.
Toc,
Toc, Toc, Toc, Toc, Toc...
Qui
que ce soit, il insiste, beaucoup. Mes yeux sont désormais
recouverts. Faire la morte. Ne pas répondre. On ne sait jamais de qui
il s'agit. Peut-être que ce sont les sbires des
Dieux-de-tous-les-trucs-de-la-mer-et-de-la-terre ?
Toc,Toc,
Toc, Toc, Toc, Toc, Toc, Toc...
Il est tenace, très tenace. Je retiens ma respiration. Surtout ne
pas faire de bruit, ne pas se faire remarquer. Les sous-fifres des
Dieux sont presque aussi dangereux qu'eux. La Cerbère-Rousse en est
un bon exemple. Peut-elle que c'est elle d'ailleurs qui s'acharne
contre ma porte?
Notre
mésaventure au Salon du Livre a laissé bon nombre de séquelles.
Depuis, je ne sors quasiment plus. Sur le coup, j'étais plutôt fière
de nous, mais après, c'est comme si quelque chose s'était brisé en
moi. Les Dieux sont tout-puissants, cette attaque sanglante en est un bon exemple. Le bilan du salon parle de lui-même. La une des journaux s'en est fait l'écho : « Terrible tremblement de terre au Salon du
Livre de Paris, une dizaine de victimes » et « Un
nombre incalculable d'ouvrages disparait de la surface du globe ».
On en est là.
Toc,
Toc, Toc, Toc, Toc, Toc, Toc, Toc...
Ce
ne peut être que la Cerbère-Rousse, elle me traque.
– Eh
oh, Livre-vie, clame une voix enjouée que je ne connais que
trop bien.
– Allez,
Livre-vie, ouvre. On sait que tu es là !
– Si
tu n'ouvres pas, on va planter notre toile de tente devant chez toi,
et les flics nous délogeront pour attentat à la pudeur.
– Attentat
à la pudeur ? Mais tu es folle ! Ah non, je ne me mets pas
toute nue, moi, ronchonne Melliane.
– Livre-vie,
j'ai du Nutella... chantonne Roanne.
Mes
fidèles comparses, mes alliées dans notre lutte. Elles m'ont envoyé
plusieurs sms et mails que je n'ai même pas ouverts. Je me sens
soudain un peu honteuse de les avoir ainsi abandonnées.
– Si
tu n'ouvres pas on défonce la porte, menace le Chat. Je me suis
entraînée, je peux le faire d'un seul coup de pied !
Je
connais le Chat : si elle dit qu'elle peut, elle peut...
– On
te laisse dix secondes !
La
voix de Melliane me semble bien différente soudain. Sévère, agacée, lasse.
10,
9, 8...
La
locomotive du petit train dans mon cerveau se met en route. Le
ferait-elle ?
7,
6, 5...
Connaissant
le Chat, oui. Mais les autres ?
4,
3, 2...
La
réponse est simple, les autres aussi. Je suis même sûre qu'elles ont apporté un bélier avec elles pour abattre la porte
1...
Je
me rue hors de mon lit, et me jette sur la porte.
0...
La
porte est ouverte et elles me contemplent avec un sourire satisfait
sur les lèvres.
– Je
vous avais dit que ça fonctionnerait, fanfaronne le Chat en me
poussant pour entrer.
– Ça
fait combien de temps que tu n'as pas pris de douche ? demande
Johanne en fronçant le nez.
– Tiens,
me dit Roanne en me fourrant un pot de Nutella dans les mains.
Melliane
est déjà en train de farfouiller dans mon placard pour finalement me sortir des vêtements propres.
– A
la douche ! ordonne-t-elle en me les tendant.
– Ou
tu y vas seule, ou on t'y met de force. Comme on est gentilles on te
laisse le choix...
Le
Chat est assise sur mon lit, les jambes croisées, mais son petit
rictus maléfique me dit qu'elle ne plaisante pas. Sans un mot, je
m'exécute.
Quelques
minutes plus tard, je suis de retour. Propre comme un sou neuf.
– Ça
y est, t'as fini ton trip "déprime" ? On peut parler ?
ironise le Chat.
– Les
filles, je laisse tomber. On ne gagnera jamais, ils sont trop forts
pour nous.
– Ça,
c'est la phase deux de la déprime. La phase un c'est "je me
renferme et je ne veux voir personne". On progresse, chuchote
Johanne.
– Pas
du tout, je suis réaliste.
– Oui,
c'est bien ça. Le déni. On se dévalorise. "Je suis bonne à
rien" et patati, et patata, ajoute-t-elle
Je la foudroie du regard. J'ai très envie de lui faire manger le pot de Nutella par le nez.
– Ce
n'est pas vrai. On s'est quand même pris une déculottée, et
tous ces livres disparus...
– Un
léger problème d'organisation, nos sacs étaient trop petits, parce
qu'on en a quand même sauvés, poursuit le Chat.
– J'ai
arrêté de lire, ça ne m'intéresse plus.
Je
suis fière de moi, je leur assène l'argument fatal, celui qui les
fera quitter ma maison la tête basse. Je relève un peu le menton
pour voir leur réaction.
– Et
ça, c'est quoi ? demande Melliane qui vient de tirer de sous
mon oreiller un exemplaire de La poursuite du bonheur de Douglas Kennedy.
Vite, je me précipite pour tenter de le lui arracher des mains. J'échoue lamentablement.
– Rien...
– Mais
oui, bien sûr, rétorque Johanne en le récupérant au vol. Et
pourquoi il y a des pages cornées, hein ?
J'ai
marqué les passages que je préférais, mais je m'abstiens de le
leur avouer. La poursuite du bonheur fait partie de ces ouvrages qui
vous tatouent le coeur. On le prend sur l'étagère, comme cela, parce
qu'on broie un peu de noir et qu'on se dit qu'une petite romance ne
nous ferait pas de mal, un petit livre interdit, juste pour le
plaisir. Et rapidement, dès les premières pages, on se rend compte
qu'il est loin de n'être que cela.
C'est un roman intelligent, sans
équivoque, qui se déroule pendant une époque compliquée de
l'Histoire américaine : la guerre, le maccarthysme, la lutte
pour la liberté politique, la liberté d'expression, le droit des homosexuels, des femmes...
Sur la toile de fond de cette Amérique qui se construit, nous est
narrée l'histoire de Sara, de Jack, d'Eric, mais aussi de Kate. Deux
époques différentes, le passé de Sara et le présent de Kate, qui
convergent pour nous conter l'histoire de ces femmes. La
poursuite du bonheur est une histoire d'amour, mais pas au
sens réducteur du terme. C'est l'histoire de l'amour que Sara porte
à Jack, mais aussi à son frère Eric, et finalement à Kate, et c'est
l'histoire de Kate qui voit sa vie se construire, pierre après
pierre.
– Alors,
on attend... s'impatiente Melliane en tapant du pied sur le sol, les
bras croisés sur la poitrine.
– C'est
le chat....
– Moi ?
s'étonne le Chat.
– Non,
mon chat à moi, Sumi... Il aime corner les pages, c'est son passe-temps. Il y en a qui chassent les souris, Sumi, il corne les pages.
Pas
géniale mon excuse...
– Et
en plus elle nous prend pour des idiotes! s'exclame Roanne en levant
les yeux au ciel.
Vraiment
pas géniale...
– Avoue,
tu continues à lire...
– Non,
me renfrogné-je.
– Ton
nez s'allonge comme Pinocchio, ricane Johanne.
Melliane
fait un pas vers moi. Johanne lui envoie le livre qu'elle réceptionne
avec habilité.
– Ce
livre ne mérite pas qu'on se batte pour lui ? me
demande-t-elle en le brandissant devant mon nez.
La
question à ne pas poser. Celle dont la réponse m'effraie. Je finis par pousser un long soupir.
– Oui...
Mentir
ne sert à rien. Ce serait trahir ce récit qui va rester gravé en
moi, trahir ces pages qui m'ont entraînée dans cette poursuite du
bonheur, dans cette course à la vie, trahir cette écriture toujours
juste...
– Ça
y est, phase trois...
– C'est
laquelle? demande le Chat
– Celle
de la réaction...
– Alors,
on fait quoi maintenant ? dit Roanne, un immense sourire sur les lèvres.
Mes
réticences, mes peurs volent en éclat. Notre quête à nous n'a pas
changé, notre bonheur est là, dans ces pages pour lesquelles nous
nous battons. On n'échappe pas à son destin.
J'avale
une énorme cuillerée de Nutella. Le combat continue...