Mia
a 17 ans. Un petit ami, rock star en herbe. Des parents excentriques.
Des copains précieux. Un petit frère craquant. Beaucoup de talent
et la vie devant elle. Quand, un jour, tout s'arrête. Tous ses
rêves, ses projets, ses amours. Là, dans un fossé, au bord de la
route. Un banal accident de voiture... Comme détaché, son esprit
contemple son propre corps, brisé. Mia voit tout, entend tout.
Transportée à l'hôpital, elle assiste à la ronde de ses proches,
aux diagnostics des médecins. Entre rires et larmes, elle revoit sa
vie d'avant, imagine sa vie d'après. Sortir du coma, d'accord, mais
à quoi bon ? Partir, revenir ? Si je reste...
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Résumé
des Chroniques de la Liste-noire-des-livres-interdits.
Une
sombre menace plane sur nos livres-chéris, sur ces ouvrages qui nous
transportent jusqu'à pas d'heure dans la nuit et nous font rêver
encore et encore dans la journée : les
Dieux-de-tous-les-trucs-de-la-mer-et-de-la-terre les ont déclarés «
dangereux pour l'humanité », et nous somment, nous, les humbles
lecteurs, de les leur livrer. Voici l'histoire de notre rébellion!
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Je
donne un coup de pied dans un caillou qui a eu la très mauvaise idée
de se trouver sur mon passage et crache une flopée de mots en
bougonnant.
Le Chat du Cheshire se retourne et lève le pouce. Ses lèvres dessinent un "super" ou un "top" qu'accompagne un sourire éclatant. Je ne
cherche même pas à savoir ce qu'elle veut me dire. Le projet
de ce soir me semble aller à l'encontre de ce pouce dressé. Epouvantable, naze, complètement fou... Voilà comment je le qualifierais.
Je repère un autre caillou qui git
sur le trottoir. Je dois me décaler de presque un mètre pour lui
apprendre à voler et manque de chance, j'écrase en même temps le
pied de Melliane. Elle hurle et Johanne lui plaque une main sur la bouche pour la faire taire. On ne doit pas se faire remarquer. Je crois qu'on va pouvoir dire que ce soir est en
lice pour la "Soirée des Idées Pourries". Melliane a insisté pour
qu'on enfile nos tenues de combat. Nous voilà, six espionnes sexy
dans les rues voisines du siège des livres-addicts-Anonymes. Enfin,
sexy selon Melliane, parce que moi et mes kilos en trop, on se sent
un peu engoncés dans notre combinaison de Cat Woman. Mais comme a
dit Johanne, il faut ce qu'il faut. Mouais... Mes copines elles ont
été contaminées par le virus des idées débiles.
Roanne
par exemple, et sa sagesse légendaire. Elle aurait pu réfréner
l'enthousiasme du Chat quand elle a envisagé une filature de la
Cerbère-Rousse qui anime les soirées des Livres-addicts-Anonymes. Eh bien non! Que Nenni! Elle n'a rien objecté et a
juste acquiescé. Idem quand il a été question d'envoyer Bea de L'Ancre littéraire d'une blondinette en première
ligne. Un appât parce que c'est la nouvelle. "Et oui, il faut
profiter de toutes les occasions!" a fait remarquer Johanne. Ah, elle va être
contente Bea! Elle a résisté, s'est libérée de ses chaînes
et du joug des Dieux pour venir gonfler nos rangs, et bam, on la
transforme en ver de terre au bout d'un hameçon. Idée pourrie je
vous dis...
Un
autre caillou, un mètre devant moi. Mon radar s'est allumé, j'arme mon pied. Boum.
Oups, le caillou décolle et passe à deux centimètres de la tête du Chat. Ma
reconversion en Championne de foot est compromise. Ce n'est pas un
pouce que lève le Chat en se retournant. Son regard est lourd de
sens. Je lui adresse un petit sourire navré.
Mais
un drôle de bruit l'empêche de laisser libre cours à ses pensées.
Nous nous arrêtons pour tendre l'oreille.
– C'est
quoi ? demande Johanne.
– On
dirait un chat qu'on égorge, constate Melliane.
– Hey !
s'exclame le Chat.
– J'ai
dit un chat, pas LE Chat ! s'explique Melliane en soupirant.
Roanne
m'observe avec sa sagacité habituelle.
– Le
livre-vie, ça va ?
Je
plisse les yeux et je me concentre, je connais ce son. Un son écorché
s'échappe d'une fenêtre ouverte quelques étages plus haut, dans
l'immeuble qui borde la route. Cette cacophonie s'élève,
virevolte et le bruit strident se transforme en une volute de notes
qui s'imbriquent les unes avec les autres. La plainte gonfle et
s'enroule autour de nous, et soudain, j'ai l'impression qu'elle me
foudroie. La voix des anges, la voix des hommes... Un violoncelle...
Mia et Adam... La voix des anges qui se pare de nuances humaines.
Je
ne suis pas musicienne dans l'âme mais j'ai toujours admiré
l'agilité du violon, la grâce de la harpe ou l'énergie de la
guitare. Mais un violoncelle ? Je ne crois pas avoir déjà
prêté attention à cet instrument si massif. Jusqu'à ce que je
lise Gayle Forman.
– Livre-vie ?
Bea
a posé sa main sur mon bras et je croise le regard de Melliane.
Elles s'inquiètent.
– Ça
y est, elle nous refait le coup... Elle est encore partie...
Melliane
s'avance d'un pas.
– Un
violoncelle, c'est un violoncelle, chuchoté-je pour ne pas perturber la mélodie.
– Et ?
– Ecoutez...
Leurs yeux se plissent avant de se fermer à leur tour. Je me
laisse bercer, mes dernières barrières s'effondrent. La plainte
s'étire, elle se glisse hors de cette fenêtre ouverte pour nous
murmurer son secret à l'oreille.
C'est un lien profond qui unit Mia et son violoncelle. Une attirance presque
physique pour cet instrument tellement éloigné des sons rocks qui
faisaient l'identité de ses parents. Une reconnaissance. Un prolongement de soi. Un don. Celui des anges. Et c'est ce qui va séduire Adam, le
rocker du lycée qui fait trembler les cœurs mais dont l'âme
ne vibre que pour Mia. Commence une histoire classique, la star du lycée et
la fille bizarre. Une histoire comme tant d'autres... Jusqu'à ce que
le sort ne les frappe lorsque ce camion percute la voiture de la
famille de Mia.
La
plainte du violoncelle se teinte de reflets graves. Des larmes
bordent mes yeux. Je ne comprends pas le sens des notes. Ce langage m'est inconnu, mais la musique me porte.
Gayle Forman
construit son récit entre présent et passé. Les flash-back
jalonnent la narration pour bâtir, pierre après pierre, l'édifice de la relation d'Adam et Mia, mais
aussi de Mia et sa famille. Légèreté et rires alternent avec les pleurs et la tragédie. Les mots sont poignants, les phrases sont
percutantes. Pourquoi vivre quand on a tout perdu ? Se laisser aller,
mourir, c'est un droit aussi. Pas de lâcheté dans tout cela, juste
un choix. Le choix de la douleur mais aussi de l'espoir, ou celui de
fermer les yeux et de se laisser emmener. Cette mélodie tellement juste de la Vie.
Le souffle me manque, des
images du roman se bousculent dans ma tête. La musique danse avec
elles autour de nous.
– On
dirait une voix humaine, souffle Roanne.
– On
dirait une femme qui pleure, ajoute Johanne.
– Waouh,
c'est intense... murmure le Chat.
Aussi
intense que ce récit qui ne tombe pas dans la facilité d'une simple
amourette. C'est le récit de la construction de soi, de l'identité,
de la perte... C'est un récit tragique aux nuances d'espoir, un récit fort, aux personnages intenses. Non, ce n'est pas une histoire d'amour au
sens réducteur du terme. L'histoire de l'Amour, tout court.
Ma
respiration est saccadée, mes poumons ont oublié comment respirer.
Je vacille. Les images tournoient depuis plusieurs jours dans ma tête,
ce roman s'y est lové et a pris possession de mes émotions. Un
roman pourtant court, où certaines choses ne sont qu'ébauchées.
J'ai l'impression qu'il s'anime ce soir avec ce violoncelle. Un
autre de ces romans qui envoûtent...
– Attendez...
On dirait...
La
voix de Bea est hésitante. Nous tendons davantage l'oreille.
– Mais
oui, on dirait...
Des
mots... on dirait des mots...
La
rectitude épouse les courbes
dans
la geôle des phrases.
Les
miroirs noient la sortie
sous
les arches de chaînes,
le
temps se confond
mais
le sable s'égraine.
Et
la musique s'éteint. Ne reste que le silence des larmes qui coulent sur mes joues.