mercredi 22 juin 2016

De pourpre et de soie, Mary Chamberlain

Londres, 1939. Quand Ada Vaughan commence à travailler au sein d'un atelier de mode de Dover Street, la belle jeune femme rêve d'une carrière dans la haute couture. Et d'échapper ainsi à l'atmosphère familiale pesante. Impossible alors de résister à l'énigmatique Stanislaus von Lieben, un gentleman entreprenant qui lui propose un voyage à Paris. Mais, à la fin de leur séjour, la nouvelle tombe : le Royaume-Uni et la France déclarent la guerre à l'Allemagne. Découvrez la destinée d'une héroïne inoubliable prise dans les tourments d'une des périodes les plus sombres de l'Histoire. De 1939 à 1948, de la splendeur du Savoy aux ombres du camp de concentration de Dachau, entre passion, drame et espoir, Ada tentera de survivre à l'enfer.

Ava Vaughan ne rêve que d'une chose, créer des modèles, avoir sa propre maison de couture, la Maison Vaughan, dans laquelle elle pourrait déployer tout son talent et exposer tous les beaux vêtements qui tourbillonnent dans sa tête. Elle aime les tissus précieux, elle aime les coupes parfaites, elle aime les magazines et leurs mannequins à la beauté fatale. Mais en attendant d'atteindre son rêve, elle travaille du haut de ses dix-huit ans dans une petite boutique où elle exerce son talent.

Parce qu'Ava Vaughan n'a pas eu la chance de la naissance. Si elle était née dans l'une des familles qu'elle habille, ces femmes sublimes au port de tête altier, à la silhouette parfaite et au porte-feuille bien garni, elle serait quelqu'un d'autre, quelqu'un à la hauteur de tout ce qu'elle porte en elle. Mais la vie est ainsi et elle doit être patiente, son heure viendra.

Et puis un jour, elle rencontre Stanislaus. Stanislaus et son beau costume, Stanislaus et son chapeau, Stanislaus qui règle tout et se montre si galant. Quand il lui propose une escapade à Paris, son coeur s'emballe. La capitale de la mode! Elle va revenir avec un anneau autour du doigt, elle en est sûre. Et Stanislaus l'aime tellement qu'il va lui financer sa Maison Vaughan, elle va enfin pouvoir avoir la vie à laquelle elle aspire, la vie qui lui est due.

Ah, naïveté de la jeunesse, péché d'orgueil...

Les journaux en parlaient pourtant, la radio aussi. Mais non, la guerre ne va pas éclater, et surtout, elle n'atteindra pas Paris. Rien ne peut atteindre Paris.

Mais l'inévitable se produit, et la guerre éclate. Commence une descente aux enfers brutale pour Ava. Une fuite vers la Belgique, Stanislaus qui l'abandonne. Elle doit survivre. Seule.

En me plongeant dans ce roman, je m'attendais à suivre le destin d'une femme mais je ne m'attendais pas à suivre un tel destin. Le récit m'a vraiment surprise, dans le bon sens du terme. La seconde guerre mondiale est un sujet largement traité, les récits de femmes aussi, et il est parfois difficile d'être original. On risque de s'engluer dans un mélodramatisme artificiel, dans une langue parfois trop lourdement décorée, dans un récit faussement romancé. Rien de tout cela dans ce roman. La langue est simple, dépouillée parfois, dure souvent. Comme les épreuves qu'Ava va devoir affronter. La douceur vient des tissus ou de tout ce qui est en rapport avec la couture, cette lueur dans l'obscurité de l'héroïne. Il n'y a pas d'emphase, pas besoin, les événements se suffisent à eux-mêmes.

Le personnage d'Ada est un personnage osé. Sa naïveté teintée d'égocentrisme peut être exaspérante, mais n'est jamais anodine. C'est ce qui l'aide à rester debout quand elle est enfermée, là, dans ce château, à quelques kilomètres de camp de Dachau, vivant l'horreur dans l'horreur, sombrant dans la noirceur de l'être humain.

Ada est une femme forte, qui veut survivre, qui veut monter sa Maison Vaughan, parce que la guerre s'arrêtera non? Et après, ça sera forcément mieux. Mais l'après n'est pas si simple comme nous le montre Mary Chamberlain. Quid de ceux qui reviennent au pays et qui ont tout perdu? Quid de ces femmes qui luttent pour se reconstruire dans cette société qui n'a pas encore appris de ces erreurs? 

Et la fin... Je l'ai relue à deux reprises pour être bien sûre, mais oui, c'est bien ça. Elle est dans la lignée de ce roman et finalement, il ne pouvait en être autrement.




samedi 11 juin 2016

Sensible, S.C. Stephens

Le seul endroit où Kellan Kyle se sente bien, c'est sur scène. Avec sa guitare dans un bar obscur, il peut oublier son passé douloureux. Ces jours-ci, sa vie tourne autour de trois choses : la musique, ses copains et ses conquêtes. Jusqu'à ce qu'une femme vienne tout changer...
Kiera est le genre de filles auxquelles Kellan ne devrait pas s'intéresser - intelligente, gentille et sortant avec son meilleur ami. Persuadé qu'il ne mérite pas son amour, il cache son attirance... jusqu'à ce que le coeur tournenté de Kiera lui montre que ses sentiments sont probablement réciproques.
Désormais, quelles que soient les conséquences, Kellan est sûr d'une chose : il ne la laissera pas le quitter sans se battre

Connaissez-vous l'effet Kellan Kyle ? Vous savez, ces petits signes tels que la gorge qui se noue, les larmes qui pointent aux coins des yeux, la poitrine qui se serre, le coeur qui s'accélère... Ces petits signes qui vous poussent à aller régulièrement aux toilettes, si possible par tranches de quinze minutes même si votre système digestif va très bien et qu'en réalité vous n'avez pas besoin du tout d'y aller, juste parce que vous voulez être tranquille pour avoir votre dose de Kellan Kyle...

Eh oui... C'est ça l'effet Kellan Kyle, mieux qu'un gâteau au chocolat, de la guimauve pleine de sucre et de douceur et qui ne fait pas de mal sur la balance mais qui va faire faire de l'exercice à votre coeur.

C'est un livre que j'attendais avec impatience, pour ne pas dire LE livre que j'attendais. J'avais adoré l'histoire de Kiera et Kellan (chroniques ici et là), mais comme beaucoup, j'ai toujours pensé que Kiera aurait bien mérité quelques claques pour son comportement indécis. J'avais du mal à comprendre comment Kellan avait-il pu endurer tout cela, comment l'amour avait pu le pousser à tout supporter. D'accord, il s'agit d'une fiction, mais quand même.

Les réponses viennent d'elles-mêmes dans ce roman, les pièces du puzzle s'imbriquent parfaitement, les questions qui demeuraient s'envolent, même certaines que je pouvais me poser vis-à-vis de Kiera.

Kellan est indéniablement le personnage le plus travaillé, le plus approfondi des deux. C'est une âme marquée, torturée. Il est convaincu qu'il ne mérite pas d'être aimé, qu'il ne pourra jamais être aimé. Alors il se contente de peu, des miettes que lui laisse Kiera, la seule qui a réussi à voir en lui autre chose qu'un reflet dans un miroir. Moi qui était déjà une amoureuse livresque de Kellan Kyle, je suis... pfiou...

C'est un tome plutôt sombre qu'a écrit S.C. Stephens. Plonger dans la psyché de Kellan n'est pas une mer de tranquillité. C'est un être blessé qui porte beaucoup de colère en lui. Il y a beaucoup d’obscurité dans ce manque d'estime de soi, dans cette solitude, et Kiera, malgré ses doutes et ses erreurs, est la lumière qui lui permettra de se sauver, de se construire.

Ce récit complète parfaitement la trilogie, même en ce qui concerne Kiera. A travers le regard de Kellan, l'on comprend mieux que tout ce qu'elle a fait n'était pas volontaire, que finalement, cette étape de leur vie est synonyme de passage à l'âge adulte pour elle, de grandir et d'assumer. C'est une étape complexe, dans laquelle on avance pas à pas, et Kiera trébuche. Elle non plus n'est pas prête face à cette vague d'émotions qui l'assaille, elle n'est pas prête à tout remettre en question à cause d'une folie qui pourrait n'être que passagère. Elle a peur de souffrir, peur de n'être pas assez, peur d'être seule, comme Kellan finalement. C'était évoqué à mi-mot dans le tome qui lui donnait la voix, mais on le perçoit encore plus clairement dans celui-ci et je dois reconnaître qu'elle m'a semblé beaucoup plus sympathique.

Et moi, je suis de nouveau une victime de l'effet Kellan Kyle. Gloussomètre activé, soupiromètre agité, émotiomètre qui a atteint des plafond... Voilà, voilà, voilà...

Il va me falloir enchaîner sur une autre lecture maintenant, et je sens que ça va être compliqué. L'effet Kellan Kyle laisse des traces, il ne disparaît pas comme ça.

samedi 4 juin 2016

Ceux qui restent, Marie Laberge

En avril 2000, Sylvain Côté s’enlève la vie, sans donner d’explications. Ce garçon disparaît et nul ne comprend. Sa femme Mélanie s’accroche férocement à leur fils Stéphane ; son père Vincent est parti se reconstruire près des arbres muets ; sa mère Muguette a laissé échapper le peu de vie qui lui restait. Seule la si remuante et désirable barmaid Charlène, sa maîtresse, continue de lui parler de sexe et d’amour depuis son comptoir.

La perte d'un être cher est un événement traumatisant dans une vie, la douleur de l'absence et la colère contre ce foutu destin sont autant de vagues qu'il faut affronter pour apprendre à vivre sans. Mais quand il s'agit d'un suicide, les vagues deviennent tsunami. En plus du deuil, il faut cohabiter avec une ronde de questions plus pernicieuses les unes que les autres. Pourquoi ? Est-ce que j'aurais pu l'empêcher de commettre ce geste ? Qu'est-ce que je n'ai pas vu ? Il faut porter un fardeau supplémentaire, celui de sa propre culpabilité, de sa propre introspection.

Premier livre pour moi de Marie Laberge, première rencontre donc, et premier coup de coeur. Le sujet m'effrayait pourtant un peu : Sylvain, du haut de ses vingt-neuf ans, s'est ôté la vie. Il avait tout pourtant pour être heureux, un fils, une femme peu encombrante, une maîtresse, un travail, des parents. Mais ça n'a pas suffi, il s'est pendu.

Ce roman choral se construit autour d'un "pourquoi" centré sur l'entourage qui n'a d'autre choix que celui de continuer à vivre, ces "ceux qui restent" qui doivent réapprendre comment respirer au fil des ans. Chaque chapitre donne la voix à un personnage, à ses pensées, à ses réflexions. Chaque chapitre nous livre le cheminement de chacun. La langue varie en fonction des uns et des autres. Il m'a d'ailleurs fallu un peu de temps pour m'y habituer, elle est déstabilisante au début, addictive ensuite. Distanciés dans le cas de Muguette, équilibrés dans celui de Vincent qui ne veut pas s'effondrer, passionnées dans celui de Charlène qui aime la vie, décousus dans celui de Stéphane qui se cherche, les mots sont le miroir de leur âme.

Ce roman est un kaléidoscope d'émotions à l'état pur. L'on passe par toute palette de sentiments, la colère, le deuil bien sûr, les remords, la distance, le mensonge, la fuite, le faire face, l'amour, l'amitié, les sentiments ambigus, la perdition, l'errance, puis la reconstruction et enfin l'espoir.

J'ai aimé profondément Charlène qui porte ce roman, Charlène qui cherche à comprendre et qui devient un pilier de la vie des autres alors qu'elle n'est que serveuse. Charlène qui sera la lumière pour certains et qui ne pourra aider ceux qui sont aveugles. Vincent et  sa résignation m'ont attendrie, sa bonhomie et sa générosité m'ont touchée. Stéphane m'a émue, ce garçon dont la vie est bâtie sur un mensonge et qui se cherche, mais qui finalement n'avait pas besoin de ce mensonge pour errer, parce que c'est la vie, tout simplement. Mélanie-lyne m'a attristée, c'est une femme brisée, non pas par l'acte mais par ce qu'elle est. Muguette m'a autant exaspérée qu'elle m'a fait de la peine. Sa folie est finalement le poids le plus lourd qui fait plier ses frêles épaules.

Je me suis surprise à tourner les pages et à vivre intensément chaque chapitre, à ressentir les mots. "L'on passe à Vincent, très bien, je l'aime beaucoup, il est apaisant Vincent", "Mais elle est où Charlène, j'aurais bien besoin d'une petite dose de Charlène moi !", "Mais Stéphane, ce n'est pas possible! Comme je te comprends malgré tout...", "Elle mériterait une bonne paire de claques la Mélanie-Lyne. Mais ouvre les yeux bon sang !", "Et Muguette, on n'a pas idée de porter un nom pareil ! Bon, d'accord, elle n'est pas responsable, mais quand même...".

Et la dernière page tournée, un étrange sentiment de plénitude m'a envahie. Parce que ce roman n'est pas noirceur, c'est un roman intimiste, bouleversant parfois, réconfortant souvent qui m'a touchée en plein coeur.

Surprenant et juste, une très belle première rencontre.


Pour lire la chronique de l'Amarrée des mots, c'est ici.