samedi 4 juin 2016

Ceux qui restent, Marie Laberge

En avril 2000, Sylvain Côté s’enlève la vie, sans donner d’explications. Ce garçon disparaît et nul ne comprend. Sa femme Mélanie s’accroche férocement à leur fils Stéphane ; son père Vincent est parti se reconstruire près des arbres muets ; sa mère Muguette a laissé échapper le peu de vie qui lui restait. Seule la si remuante et désirable barmaid Charlène, sa maîtresse, continue de lui parler de sexe et d’amour depuis son comptoir.

La perte d'un être cher est un événement traumatisant dans une vie, la douleur de l'absence et la colère contre ce foutu destin sont autant de vagues qu'il faut affronter pour apprendre à vivre sans. Mais quand il s'agit d'un suicide, les vagues deviennent tsunami. En plus du deuil, il faut cohabiter avec une ronde de questions plus pernicieuses les unes que les autres. Pourquoi ? Est-ce que j'aurais pu l'empêcher de commettre ce geste ? Qu'est-ce que je n'ai pas vu ? Il faut porter un fardeau supplémentaire, celui de sa propre culpabilité, de sa propre introspection.

Premier livre pour moi de Marie Laberge, première rencontre donc, et premier coup de coeur. Le sujet m'effrayait pourtant un peu : Sylvain, du haut de ses vingt-neuf ans, s'est ôté la vie. Il avait tout pourtant pour être heureux, un fils, une femme peu encombrante, une maîtresse, un travail, des parents. Mais ça n'a pas suffi, il s'est pendu.

Ce roman choral se construit autour d'un "pourquoi" centré sur l'entourage qui n'a d'autre choix que celui de continuer à vivre, ces "ceux qui restent" qui doivent réapprendre comment respirer au fil des ans. Chaque chapitre donne la voix à un personnage, à ses pensées, à ses réflexions. Chaque chapitre nous livre le cheminement de chacun. La langue varie en fonction des uns et des autres. Il m'a d'ailleurs fallu un peu de temps pour m'y habituer, elle est déstabilisante au début, addictive ensuite. Distanciés dans le cas de Muguette, équilibrés dans celui de Vincent qui ne veut pas s'effondrer, passionnées dans celui de Charlène qui aime la vie, décousus dans celui de Stéphane qui se cherche, les mots sont le miroir de leur âme.

Ce roman est un kaléidoscope d'émotions à l'état pur. L'on passe par toute palette de sentiments, la colère, le deuil bien sûr, les remords, la distance, le mensonge, la fuite, le faire face, l'amour, l'amitié, les sentiments ambigus, la perdition, l'errance, puis la reconstruction et enfin l'espoir.

J'ai aimé profondément Charlène qui porte ce roman, Charlène qui cherche à comprendre et qui devient un pilier de la vie des autres alors qu'elle n'est que serveuse. Charlène qui sera la lumière pour certains et qui ne pourra aider ceux qui sont aveugles. Vincent et  sa résignation m'ont attendrie, sa bonhomie et sa générosité m'ont touchée. Stéphane m'a émue, ce garçon dont la vie est bâtie sur un mensonge et qui se cherche, mais qui finalement n'avait pas besoin de ce mensonge pour errer, parce que c'est la vie, tout simplement. Mélanie-lyne m'a attristée, c'est une femme brisée, non pas par l'acte mais par ce qu'elle est. Muguette m'a autant exaspérée qu'elle m'a fait de la peine. Sa folie est finalement le poids le plus lourd qui fait plier ses frêles épaules.

Je me suis surprise à tourner les pages et à vivre intensément chaque chapitre, à ressentir les mots. "L'on passe à Vincent, très bien, je l'aime beaucoup, il est apaisant Vincent", "Mais elle est où Charlène, j'aurais bien besoin d'une petite dose de Charlène moi !", "Mais Stéphane, ce n'est pas possible! Comme je te comprends malgré tout...", "Elle mériterait une bonne paire de claques la Mélanie-Lyne. Mais ouvre les yeux bon sang !", "Et Muguette, on n'a pas idée de porter un nom pareil ! Bon, d'accord, elle n'est pas responsable, mais quand même...".

Et la dernière page tournée, un étrange sentiment de plénitude m'a envahie. Parce que ce roman n'est pas noirceur, c'est un roman intimiste, bouleversant parfois, réconfortant souvent qui m'a touchée en plein coeur.

Surprenant et juste, une très belle première rencontre.


Pour lire la chronique de l'Amarrée des mots, c'est ici.

22 commentaires:

  1. Ca a l'air dur, mais passionnant ! Je note :)

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    1. Je pense que c'est un roman qui pourrait te plaire. Le pari est osé, mais clairement réussi.

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  2. Je ne connais pas cet auteur, mais tu me donnes bien envie d'y remédier...

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    1. J'ai découverte l'auteure avec ce roman, et ce fut une bien belle rencontre livresque pour moi.

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  3. Il est dans ma PAL et il me tarde vraiment de le lire ! Ta chronique me donne encore plus envie de le découvrir :) !

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    1. Hâte de savoir ce que tu vas en penser! C'est très particulier comme récit.

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  4. Ca a l'air d'etre une histoire très prenante et différente

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    1. Complètement différente, ne serait-ce que par la langue.

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  5. Comme tu en parles bien Céline!
    Ça me fait tellement plaisir de lire un billet de Marie Laberge ici!
    Un grand merci pour le lien...
    Bises et bonne semaine à toi

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    1. C'est toi qui me l'as fait découvrir avec ton blog! Et j'ai adoré!

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  6. Tout à fait le genre de livre que j'aime avoir lu, mais qu'il est difficile pour moi d'ouvrir, de m'y mettre... C'est sûrement douloureux. Et beau.
    Et ce passage d'une voix à l'autre, comme un passage de témoins, me donne envie de le découvrir.
    "Muguette" ? C'est un "vrai" prénom, cela ? ;-))

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    1. Le sujet est douloureux, mais ce n'est que le point de départ. Ce qui compte est l'après, et l'auteur l'évoque très justement.
      Muguette: Oui, oui, c'est un prénom. Elle est née en mai, d'où Muguette!

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  7. Tu me donnes terriblement envie de découvrir ce titre !

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  8. Comme tu dis, Charlène porte clairement ce roman et si je n'étais pas fan d'elle au début, elle est devenue beaucoup plus sympathique à mes yeux par la suite. J'ai adoré !

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    1. J'ai eu le même sentiment. C'est un roman déstabilisant au début, mais ensuite, il nous happe.

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  9. C'est le genre de livre génial que j'évite d'acheter, pour le moment, car le sujet fait que je le planque dans ma pile à lire et trouve toujours une bonne raison, par la suite, pour ne pas l'ouvrir...
    Le sujet est vraiment terrible...
    (en plus dans un style différent, j'ai entamé "Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi" et le début a déjà suffit à m'émouvoir de façon irraisonnable)
    Ces livres sont nécessaires, mais que j'ai du mal à les ouvrir.

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    1. Le sujet est difficile c'est vrai, mais finalement ce roman n'est pas douloureux.

      Par contre, je n'ose pas sortir "Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi" de ma PAL, j'ai peur de me transformer en chutes du Niagara...

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  10. Très intéressant et pourtant ce n'est pas le type de roman vers lequel j'ai l"habitude de me tourner habituellement.

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