mercredi 2 novembre 2016

Les vies de papier, Rabih Alameddine

Aaliya Saleh, 72 ans, les cheveux bleus, est inclassable. Mariée à 16 ans à « un insecte impuissant », elle a été répudiée au bout de quatre ans. Pas de mari, pas d'enfant, pas de religion... Non conventionnelle et un brin obsessionnelle, elle a toujours lutté à sa manière contre le carcan imposé par la société libanaise. Une seule passion l'anime: la littérature. Elle a en effet pour les mots un désir inextinguible. À tel point que, chaque année, le 1er janvier, elle commence à traduire en arabe l'un de ses romans préférés. Un travail ambitieux qui finit toujours par échouer dans un tiroir. Car les quelque trente-sept livres traduits par Aaliya au cours de sa vie n'ont jamais été lus par qui que ce soit.
Ce portrait d'une femme solitaire en pleine crise existentielle oscille sans cesse entre passé et présent dans un Beyrouth en constante mutation. Tandis qu'elle essaye de maîtriser son corps vieillissant et la spontanéité de ses émotions, Aaliya doit faire face à une catastrophe inimaginable qui menace de faire voler sa vie en éclats. Son ton mordant ne nous laisse pas indemne.

Pour commencer chaque nouvelle année, Aaliya a un rituel : choisir un ouvrage, parmi ses préférés bien sûr, et se lancer dans sa traduction. Nul désir d'être publiée ensuite, une fois le dernier point mis, le manuscrit ira rejoindre tous les autres enfermés dans les cartons qu'Aaliya garde précieusement dans son appartement, ces cartons pleins de vies de papier qui sont autant de compagnons pour cette femme vieillissante de 72 ans.

J'ai rarement été autant touchée par un personnage. Aaliya est une femme moderne qui a grandi dans un pays archaïsant. Mariée très tôt, comme bon nombre de femmes au Liban, elle a connu ce qui pour elle, fut la chance de sa vie : son mari l'a répudiée. A commencé pour elle, bien au-delà des regards qu'on lui portait, une vie indépendante, une vie de femme maîtresse de ses actes : un appartement, un travail de libraire, une liberté... La liberté de décider de ses choix, la liberté de vivre la vie qu'elle veut.

A travers les mots, les pensées, les digressions d'Aaliya, qui s'égare beaucoup comme elle-même n'hésite pas à le reconnaître, l'auteur peint une Beyrouth profondément marquée par la guerre et qui a du mal à panser ses blessures. Il dessine le portrait de femmes (l'immeuble d'Aaliya en est plein) qui ont réussi à vivre sans les hommes, à tisser des liens, une solidarité peu évidente dans ce contexte déchiré et déchirant.

Les mots de Rabih Alameddine sont souvent justes, beaucoup de thèmes sont abordés- la destruction, la reconstruction, la cohabitation, l'autre, la religion, les traditions, les hommes, les femmes, la famille les livres, le travail, la modernité...- et le regard porté par l'expérience de vie d'Aaliya les rend lourds de sens. J'ai été fascinée par ce petit bout de femme qui se retrouve avec des cheveux bleutés suite à une erreur de shampoing, par cette survivante qui fera ce qu'elle pourra pour survivre et garder son indépendance, qui aimera les livres autant qu'elle aimera la vie, par cette lectrice solitaire qui me bouleversera...

Sans aucun doute l'une de mes lectures les plus marquantes de l'année.


Pour la chronique du Chat du Cheshire, c'est ici

14 commentaires:

  1. "Un des personnages féminins les plus beaux, les plus originaux des dernières années" - moi qui affectionne les personnages de femmes fortes, ce livre est pour moi! Tu dis n'avoir jamais autant été touchée par un personnage... Alors cette histoire saurait toucher également mon cœur, je le sais.
    Bonne semaine Céline

    RépondreSupprimer
  2. Merci pour ce nouveau lien <3 !
    Une lecture qui m'avais également touchée, je suis contente qu'on ait le même ressenti (pour une fois) !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pas "pour une fois"! Ça arrive assez souvent en fait!

      Supprimer
  3. C'est vrai que ça a l'aor d'etre une lecture forte et le thème est vraiment intéressant

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, j'ai peu lu sur ce sujet je dois le dire. Et pourtant ça m'intéresse beaucoup!

      Supprimer
  4. Encore un livre que je ne connais pas et qui a l'air vraiment chouette! J'espère que les mots sont aussi prenants que l'histoire est tentante!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est une histoire vraiment très touchante, et très bien écrite ce qui ne gâche rien!

      Supprimer
  5. Encore une envie de plus confirmée par tes bons soins ! Tu es la reine de la prescription livresque, et sans risque d'effets indésirables ;)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Suis pas sûre que mon banquier pense la même chose! :)

      Supprimer
  6. Même si je ne suis pas très contemporain, ce livre me tentait déjà pas mal à la base. :) Et ton avis me conforte! Je vais t'envoyer mon banquier qui se plait!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Euh, j'ai déjà fort à faire avec le mieux! Il fait grise mine en ce moment! :)

      Supprimer
  7. Ah, l'une de mes prochaines lectures. Il me fait envie depuis sa sortie. Mais j'ai lu tellement de livres sur ce sujet que j'ai sans cesse repoussé sa lecture. Si il est dispo demain à la bibliothèque, je l'emprunterai.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je l'ai trouvé très différent de ce que j'avais pu lire avant sur le sujet, sans doute à cause de la protagoniste qui est atypique finalement.

      Supprimer