Les
Autres ont libéré la Cassandra Sangue pour protéger les prophèteBs
du sang avant de réaliser que cela aurait des conséquences
irréversibles... Les voyants se retrouvent encore plus menacés
qu'ils ne l'étaient et Simon Wolfgard, change-forme et chef des
Autres n'a plus d'autre choix que d'en appeler une fois encore à
l'aide de Meg Corbyn malgré le danger qu'elle va encourir. Les
ombres s'accumulent et les folies d'une faction de fanatique risquent
d'apporter la guerre jusqu'aux portes de Simon et Meg !
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Résumé
des Chroniques de la Liste-noire-des-livres-interdits.
Une
sombre menace plane sur nos livres-chéris, sur ces ouvrages qui nous
transportent jusqu'à pas d'heure dans la nuit et nous font rêver
encore et encore dans la journée : les
Dieux-de-tous-les-trucs-de-la-mer-et-de-la-terre les ont déclarés «
dangereux pour l'humanité », et nous somment, nous, les humbles
lecteurs, de les leur livrer. Voici l'histoire de notre rébellion!
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Rappel
de l'épisode précédent :
Le Chat du Cheshire, dans une interprétation douteuse de l'une des
prophéties, nous a entraînées dans une église, non loin du QG des
livres-addicts Anonymes où sévit la Cerbère Rousse. Pour rejoindre
Melliane qui s'est aventurée à l'intérieur, nous avons bravé
l'obscurité pour tomber nez à nez avec...
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Assise
en tailleur sur le sol, je sors un pot de Nutella de mon sac. Je
regrette d'avoir pris le format "voyage", vu la situation,
le kilo aurait été plus opportun. Les
dalles de l'église sont un peu froides et je sens l'humidité des
lieux s'immiscer à travers mon pantalon. Une goutte tombe des arches
de l'église et finit sa course sur ma tête.
Ploc.
Suivie
d'une autre.
Ploc.
Puis d'encore une autre.
Ploc...
Sans
me lever, je me décale vers la gauche. On ne peut jamais être
tranquille ! Et je ne parle pas de la dizaine de gargouilles qui
nous observent comme si elles étaient en train de décider par
laquelle d'entre nous elles allaient commencer leur festin.
Note
pour moi-même: la prochaine fois, bien me renseigner sur mes
ennemis. Je ne connais pas le régime alimentaire d'une gargouille. Enfin,
jusqu'à maintenant, ne savais pas que les gargouilles existaient,
alors de là à penser à leur aliment favori...
Je
prends une grosse cuillerée dans le pot et je la fourre dans ma
bouche. Le chocolat me détend, ça a toujours été comme ça.
Je
ne peux pas m'empêcher de glousser. Dans cette position, on croirait
presque que je suis en train de faire une manif, un sit-in ou un truc
du genre. Ça pourrait être le cas. Je viens de finir le tome 3 de
Meg Corbyn et il va me falloir patienter encore un an avant de
lire le tome 4. Je devrais peut-être me mettre en grève pour avoir
le 4 plus vite. On pourrait même tous se mettre en grève, la
planète entière qui scanderait "On veut Meg, on veut Meg !
Et Simon !". Tous sauf Melliane...
–
Toi, ne fais pas de
commentaire, ronchonné-je en la fusillant du regard.
Elle
me jette un coup d'oeil surpris.
–
Tu l'as lu, alors tu
ne dis rien.
Bea
fait un pas vers moi et tend la main vers mon front. Mon regard
assassin passe de Melliane à elle. Elle suspend son geste, puis fait
mine de replacer une mèche de ses cheveux derrière l'oreille.
–
Il lui arrive quoi
maintenant ? murmure Roanne.
–
Sais pas, répond
Johanne en haussant les épaules.
–
Cherchez pas, elle
divague, explique Le Chat comme si c'était une vérité universelle.
Je
prends une autre grande cuillerée de Nutella.
Je
ne divague pas du tout, je suis juste fâchée. Un an! Un an à
attendre avant de retrouver Meg et Simon, l'enclos, Les Autres et les
Humains! Si ça n'est pas une raison valable pour être de mauvaise
humeur, je ne sais pas ce qu'il leur faut !
Je
bougonne à voix haute, la bouche encore plein de pâte à la
noisette.
–
Vous ne vous rendez
pas compte ! Normalement, une série, elle s'essouffle un peu.
L'intérêt chute, on a moins envie, on se lasse. Mais là... C'est
tout le contraire! Anne Bishop apporte dans chaque tome de nouvelles
pierres à l'édifice de l'univers dans lequel évolue les
personnages. Elle tisse une trame complexe, noire, où apparaissent
toutefois de fines touches de couleurs. Meg et Simon en sont un bon
exemple. Ils sont l'incarnation de ce monde en mutation. Leur
relation évolue, doucement, certains diront trop doucement. Leur
façon de penser et de voir ce qui les entoure change. Ils apprennent
à se découvrir, à découvrir les autres espèces, à cohabiter
avec elles. C'est finalement le cas pour tous les personnages, et on
se rend compte que dans cet univers, les humains pèchent souvent par
excès de confiance et sont beaucoup trop imbus de leur personne.
C'est d'ailleurs un fidèle reflet de la réalité. L'écriture est
toujours aussi juste, les émotions bel et bien présentes, vives,
l'humour aussi. La perception qu'ont les autres des humains vaut son
pesant de Nutella ! Il y a beaucoup de personnages, mais ce
n'est pas grave. On peut s'y perdre un peu au début, mais ils
finissent par s'imbriquer complètement à la trame. Et puis la
fin... ahhh... la fin...
Bea
m'emprisonne de ses bras pour m'immobiliser.
–
Vas-y ! hurle-t-elle
à une Lupa prête à bondir.
Cette
dernière se rue sur moi et me plaque la main sur le front.
–
Pas de fièvre,
c'est bizarre, constate-t-elle en faisant la moue.
Le
Chat fait un drôle de geste de la main au niveau de sa tempe.
–
Cherchez pas les
filles, c'est génétique. On n'y peut rien...
–
C'est quand même
inquiétant je trouve, réfléchit Roanne.
Encore
une nouvelle version de mon regard assassin. Si je continue comme ça,
mes copines vont tomber comme des mouches et je vais me retrouver
seules face à...
Mais
oui... au fait...
En
cercle autour de nous se tient toujours la dizaine de gargouilles.
L'une d'entre elles se gratte avec une immense griffe le crâne d'où
émerge une crête ridicule, tandis qu'une autre lance des coup
d’œils inquiets à une troisième qui se trouve à quelques mètres
à peine de nous. Elles sont toutes d'un gris uniforme, assez
déstabilisant. S'il n'y avait pas leurs mouvements, on ne les
distinguerait pas des dalles du sol de l'église.
Je suis une spécialiste du langage corporel. Je suis capable de lire dans les gestes ce que la parole refuse de nous dire.
Oui,
oui, je vous assure. C'est un fait. Vous pouvez me croire.
Là,
elles nous disent... euh... Voyons voir...
Je
me concentre.
J'hésite
entre "Miam, on va faire un super repas" et "C'est quoi
ces êtres complètement frappadingues ?".
Je
reprends encore une cuillerée de Nutella pour la route. Pas bon pour
mon régime, mais tant pis. De toute façon, je ne sais pas si mon
régime va servir à quelque chose étant donné qu'on n'est pas
sûres de sortir vivantes de là.
La
gargouille la plus proche fronce les sourcils dans un effet
saisissant et retrousse un peu le nez. Elle émet un drôle de
gargouillis puis lève la tête. Je comprends qu'elle cherche à se
dégager les narines.
–
Les filles, vous
vous êtes rendu compte d'où on est et de ce qui se passe? demande
une Melliane visiblement nerveuse.
Elle
n'arrête pas de jouer avec ses ongles. Heureusement qu'elle est là
pour nous faire un état des lieux. Toujours pragmatique Melliane, un
vrai cerveau...
Je
ne réponds rien et continue de m'attaquer au pot. Quitte à ce que
ce soit mon dernier repas, autant en profiter.
Les
filles se rapprochent de moi et se serrent un peu plus les unes
contre les autres. Même le Chat n'a pas l'air très rassuré. Les
gargouilles font un pas vers nous. Celle qui me regardait bizarrement
a amorcé le mouvement.
Un
pas.
Un
autre pas.
Elle
lève une patte. Les autres s'arrêtent. Ses griffes luisent dans le
rayon de lune qui s'introduit dans l'église par le vitrail brisé.
Elle
renifle encore un peu dans ma direction et fait une drôle de
grimace. Ses narines se referment aussitôt.
Hey,
j'ai pris ma douche!
Puis
elle fait un autre pas.
Et
encore un. Elle se tient maintenant à un mètre de nous et je ne
peux pas m'empêcher de froncer le nez. C'est elle qui devrait
prendre une douche.
Elle
fixe mon pot de Nutella et une langue marronâtre sort de sa bouche.
Elle est en train de se lécher les babines.
Les
filles se sont glissées derrière moi et me poussent légèrement en
avant. Elles font bloc. Ou alors elles essayent de faire diversion en
me balançant sur la gargouille ?
Cette dernière ouvre les narines et retrousse le nez. Sa langue s'agite
encore entre ses lèvres marbrées. Ce n'est plus nous qu'elle
regarde, elle est concentrée sur mon dernier repas.
–Tu
en veux? lui proposé-je en lui montrant le pot.
Le
Chat se frappe le font de la paume de la main.
–
Mais elle débloque!
T'as qu'à l'inviter à une soirée pyjama tant que tu y es !
La
gargouille renifle un peu plus intensément et sa langue pendouille
sur le côté. Son odeur est vraiment... dérangeante.
–
Bea, tu as ton
parfum dans ton sac ?
–Je
ne vais pas en mettre sur une gargouille! s'offusque-t-elle en
comprenant tout de suite ce que je veux faire.
–
Ça change quoi ?
De toute façon, on va y passer... grommelé-je
Lupa
se pince le nez.
– C'est
vrai que l'odeur est... particulière.
Lupa
est bien trop polie pour dire autre chose. "Particulière"
est un euphémisme. Je crois même avoir vu quelques mouches tomber
raides mortes sur le sol en volant à proximité.
–
Quitte à y passer,
je préfère ne pas avoir cette odeur dans les narines.
Johanne
acquiesce en hochant plusieurs fois la tête mais Bea s'accroche à
son sac où se cache son flacon de parfum.
–
Non, non et NON !
Discrètement,
le bras du Chat se tend vers elle.
Un
mouvement détourne mon attention de ce que s'apprête à faire le
Chat. J'ai à peine le temps de voir que Roanne semble aussi décidée
qu'elle à récupérer le flacon de parfum.
La
gargouille est maintenant dans une position assez surprenante. Elle a
basculé une partie de son corps vers l'avant et se maintient dans un
équilibre précaire, le cou étiré vers nous, les narines dilatées.
Le
pot de Nutella est toujours devant moi.
La
gargouille se penche encore un peu et utilise ses pattes comme
balancier.
Je
plonge ma cuillère dans le pot et la lui tend. Elle étire tellement le cou que j'ai la
sensation qu'il va finir par se décrocher de son corps.
Elle
hume le contenu, hésite, puis le bout de sa langue ose prendre un
peu de la pâte. Elle la rentre très, très vite dans sa bouche. Un
ronronnement s'élève, à mi-chemin entre celui du chat et du tigre.
Elle a l'air d'apprécier.
Bea
est toujours agrippée à son sac. Le Chat a passé son bras autour
de son cou, on pourrait croire qu'elle cherche à l'étouffer. Roanne
et Johanne sont en train de tirer dessus. Tout cela en silence, on
n'entend juste le ronronnement de la gargouille.
Je
tapote sur le sol pour lui faire signe de venir s'assoir à coté de
moi. Autant partager mon dernier repas, même si c'est elle ensuite
qui va m'ouvrir les tripes.
Elle
hésite, puis se rapproche encore, léchant toujours la cuillère
qu'elle tient maintenant entre ses longues griffes.
Avant
que j'aie eu le temps de respirer, le Chat, qui, quelques secondes
avant, était en train d'immobiliser Bea pour récupérer son parfum,
se jette dessus. Elle est rapide la bougresse, ça doit venir du Krav
Maga !
–
Melliane, ton sac !
hurle-t-elle.
Dans
une synchronisation parfaite, Melliane a ouvert son sac, Bea a jeté
son écharpe sur la gargouille pour l'aveugler, Lupa, Johanne et Le
Chat ont saisi le petit être qui ne comprend rien à ce qui se passe, et
l'ont fourré dans ledit sac pendant que Roanne m'arrache le pot des
mains et le fourre aussi dedans.
C'est
fou ce que le sac de Melliane peut contenir !
– Ça
va la calmer ! assène Roanne en s'essuyant le front.
La
gargouille continue de ronronner.
Pchittt,
Pchitt..
Bea
vient d'asperger le sac de parfum.
–
Ben quoi ? nous
demande-t-elle.
Aucune
d'entre nous n'ose lui faire de commentaire...
– Bon,
maintenant, on a le chef! On va pouvoir sortir! s'exclame Le Chat.
–
Et qu'est-ce qui te
dit que c'est la chef ? répliqué-je en bougonnant.
J'ai
perdu mon pot de Nutella, ma nouvelle copine et c'est moi la
spécialiste du langage corporel, d'abord...
–La
logique : elles sont parties. Donc elles ont dû avoir peur
parce qu'elles ne savent pas quoi faire sans leur chef. Si ce n'était
pas le cas, elles nous auraient sauté dessus.
Mouais...
Je ne suis pas convaincue, mais c'est vrai qu'il n'y a plus l'ombre
d'une gargouille autour de nous. Hormis celle qui ronronne dans le
sac.
Dix
minutes plus tard, nous sommes dehors, indemnes. Les gargouilles ne
nous ont pas suivies.
–
C'est ce que je vous
disais. Sans le chef, elles sont perdues ! jubile le Chat.
Je
crois même l'avoir vue se trémousser de contentement.
– Ça,
c'est fait! chantonne Johanne.
Le
soulagement perce dans sa voix.
–
Et on fait quoi de
ça? demande Lupa en pointant le doigt vers le sac qui continue de
ronronner.
Mon
pot de Nutella va y passer...
–
On pourrait
peut-être l'emmener à l'Enclos? suggéré-je pleine d'espoir.
Peut-être
que l'Enclos existe et comme ça, je pourrais voir Simon.
–
Nan, tu le ramène
chez toi, vous avez l'air de bien vous entendre ! On a une
nouvelle recrue! claironne le Chat!
Je
ne suis pas sûre que ça soit une bonne idée, elle va me vider tous
les placards...