mercredi 31 août 2016

Dans les pas du fils, Renaud et Tom François, Denis Labeyle

Entre Renaud et son fils Tom, c’est l’incompréhension. À 17 ans, l’adolescent semble glisser sur une mauvaise pente : échec scolaire, violence, drogue… Une crise que traversent de nombreux parents. Convaincu que son fils doit rompre avec son environnement toxique, Renaud lui propose une aventure extraordinaire : la traversée à cheval et à deux des steppes d’Asie centrale, aux confins du Kirghizstan. Pendant trois mois, le père et le fils vont franchir des montagnes, traverser des déserts, rencontrer des personnages insolites, reproduire les gestes simples des nomades… Surtout ils vont vivre une incroyable aventure humaine au cours de laquelle ils seront obligés de compter l’un sur l’autre. Chacun avec un objectif : pour Renaud, aller à la rencontre de son fils ; pour Tom, découvrir un père pour, à son tour, devenir un homme.

En général, je lis peu, pour ne dire pas, de témoignages. Un « Je » trop omniprésent, on s'épanche, on se plaint, on se complait dans un narcissisme exacerbé que l'on alimente par force de détails sur sa vie... Autant de raisons qui me font fuir, sans doute à tort d'ailleurs, comme j'en ai eu la preuve avec Dans les pas du fils.

Alors pourquoi faire une exception ? Pourquoi courir le risque d'affronter ce démon du « Je » ? La réponse est simple. Le sujet du voyage initiatique, qui plus est avec des chevaux dans un pays dont j'ignore tout mais qui est resté sauvage, me fascine. Sans doute une envie muette de vivre moi aussi une aventure de ce genre. Et puis j'ai eu la chance de lire quelques mots de Renaud, le père, et j'ai immédiatement éprouvé un immense respect pour son humilité et sa lucidité. Ce qui a fonctionné pour Tom et lui (finalement, ces deux « Je » que l'on retrouve dans ce récit forment aussi un « nous ») n'est pas une recette miracle, c'est juste de l'espoir. Et c'est ce dont on a besoin en ce moment, de l'espoir.

Je n'ai pas été déçue, bien au contraire. C'est même un sentiment assez étrange que celui qui m'habite depuis que j'ai refermé la dernière page. J'ai l'impression de flotter, et c'est très déstabilisant parce que normalement, je n'éprouve cette émotion qu'après une bonne romance. Inutile de préciser ce récit n'a rien absolument rien d'une romance. Mais alors rien du tout. Mais pourtant, je suis triste d'avoir quitté Tom et Renaud.

Par des mots simples, guidés par la plume de Denis Labayle, ils m'ont fait rentré dans leur intimité. Tom est un ado sur la mauvaise pente, comme malheureusement tant d'autres. Il est en échec scolaire, adepte de la provocation, de fêtes et de drogue. Renaud est impuissant face à la descente aux enfers de son fils, le dialogue est rompu depuis trop longtemps.

Ayant lui-même beaucoup voyagé, il imagine le projet un peu fou d'un voyage au bout du monde, seul avec son fils.

Le récit évoque différentes phases qui sont autant d'étapes dans leur relation : la colère, le rejet, les clashs, la violence même, les révélations, puis un début de compréhension mutuelle porteur d'espoir. Il en aura fallu des efforts de la part de Tom et Renaud pour en arriver à renouer ce dialogue. Je suis admirative, vraiment admirative face à leur attitude et leur remise en question.

L'humour est présent lors de leurs aventures, la plume de Denis Labeyle est précise et j'ai plus d'une fois souri, voire même ri en imaginant la scène. Ce sont autant de cartes postales qui nous immergent dans le quotidien brut et sans fard de ce pays, le kirghizstan dont j'ignorais tout.

Et au-delà de la beauté du récit, au-delà du courage qu'ils ont dû puiser au plus profond d'eux-mêmes pour s'affronter, l'un l'autre mais aussi individuellement, je ne peux m'empêcher d'être attendrie devant le pouvoir des animaux, ici des chevaux. On parle souvent de thérapie par les animaux, avec les chevaux par exemple, avec des handicapés, ou avec des prisonniers aux longues peines aux Etats-Unis, mais pour le vivre au quotidien avec les miens, les mots sont insuffisants face à la remise en question qu'ils peuvent entraîner. Tom a entièrement raison quand il parle de sa monture, Django. « Il est comme moi ». Oui, ils sont le miroir de ce que nous sommes et nous apprennent beaucoup...

Bravo à Tom et Renaud pour ce voyage face à eux-mêmes et merci de nous avoir fait découvrir ce pays. Il vous en aura fallu du courage et de générosité pour partager tout cela..


Pour ceux que ça intéresse, sur leur page facebook, il y a quelques vidéos de leur voyage : https://fr-fr.facebook.com/Step-by-Steppe-1461858700698432/

samedi 27 août 2016

Mon médecin et les Highlanders, 3/3


La vallée des larmes, tome 1

En 1695, en Ecosse, Caitlin a dix-neuf ans et travaille comme domestique au manoir Dunning, où la violence du maître des lieux fait de sa vie un enfer. Jusqu'au jour où elle le tue et s'enfuit. Elle croise alors le chemin de Liam Macdonald, un highlander au passé douloureux. Dès lors, leurs destins sont irrémédiablement liés. Caitlin s'éprend bientôt de ce géant ténébreux et le suit dans son village. Elle y découvrira l'hospitalité et le courage du peuple des Highlands mais aussi la jalousie, la rivalité et les batailles sanglantes entre clans qui sèmeront bien des obstacles sur le chemin de leur union.

La saison des corbeaux, tome 2

Vingt ans ont passé depuis la rencontre tumultueuse entre l'Irlandaise Caitlin et Liam Macdonald, le fier Highlander. Ils vivent heureux dans la vallée de Glencoe avec leurs enfants, Duncan Coll, Ranald et Frances. Mais, en 1715, l'Ecosse plonge de nouveau dans le chaos. L'enjeu : remettre un Stuart sur le trône. Le cœur gros, Caitlin voit partir son mari et ses deux fils. Tandis que les affrontements font rage, Duncan tombe fou amoureux de la flamboyante Marion Campbell, la fille de leur ennemi de toujours. La résurgence de vieilles rancunes et la cruauté de la guerre vont durement éprouver la famille Macdonald...

La terre des conquête, tome 3

Alexander Macdonald, petit-fils de Liam et Caitlin, s'engage dans les Fraser Highlanders, alliés à la couronne anglaise pour la conquête de la Nouvelle-France. Il se retrouve en terre d'Amérique à combattre Français et Indiens lors de la mémorable bataille des plaines d'Abraham de 1759. Au cours de l'occupation de Québec, il rencontre Isabelle Lacroix, fille d'un riche marchand. En dépit de ce qui les sépare, ils cèdent à une passion dévorante. Mais si la capitale a hissé le drapeau blanc, les combats n'ont pas cessé pour autant. L'amour est-il si puissant qu'il peut résister aux ravages de la guerre ?

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Toute ressemblance avec des faits réels ne serait que pure coïncidence.
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En ouvrant la porte du cabinet de Monsieur-mon-médecin, je constate avec plaisir qu'elle ne grince plus. Il a dû la huiler ou la graisser. Je ne sais pas si on graisse ou on huile une porte, mais au moins, elle ne fait plus ce bruit si désagréable, ce que mes oreilles apprécient. Par contre la poignée est bouillante et ma peau se plaint.

Ouille....

Je retire ma main précipitamment. J'aurais dû prendre un mouchoir, je le savais. Aujourd'hui il fait chaud, très chaud. Les médias parlent même de canicule, mais j'étais en retard. En retard de... Je compte mentalement... Deux mois en fait. J'aurais du venir voir mon médecin il y a deux mois déjà, c'est ce qu'il m'avait demandé, mais j'ai été très occupée. Par mes lectures. Très occupée par mes lectures et... Bon, d'accord, par mes lectures uniquement. Il va falloir que je réfléchisse à ce que je vais lui donner comme excuse, et vite. Je suis partie m'occuper des bébés pandas en Chine ? Ça pourrait expliquer mes cernes sous mes yeux. Je me suis tellement immergée dans mon action pour la préservation de ces charmantes petites bêtes que j'en ai même adopté l'aspect. Enfin juste les taches autour des yeux. 

Non, ça ne prendra pas.

Je m'installe sur un siège dans la salle d'attente après avoir salué la maman accompagnée de son adorable bambin. Nous nous sommes déjà rencontrées. J'hésite à lui dire qu'il y a un truc cosmique entre nous pour qu'on ait à chaque fois rendez-vous le même jour, elle risquerait de me prendre pour une folle. Surtout qu'elle s'efforce de maintenir son chérubin sur son siège en attachant ses mains avec son foulard. Elle esquive avec habilité un coup qui visait vraisemblablement sa carotide. Il bouge beaucoup l'animal ! Je suis sûre qu'elle au moins, elle ne s'est pas brûlée la main en ouvrant la porte, elle a pensé à prendre un foulard. 

Note pour moi-même: toujours avoir un foulard dans mon sac à main.

Je jette un coup d'oeil à la salle d'attente. Les affiches ont changé, elles ne sont plus consacrées aux MST, mais prodiguent des conseils pour avoir un bon transit intestinal.
– Nom de Zeus, ça brûle ! s'exclame une voix masculine en ouvrant la porte.
C'est justement le monsieur qui a des légers problèmes gastriques, lui aussi doit être relié avec nous par un truc cosmique, ce n'est pas possible. J'espère que les affiches auront été efficaces.
– Mesdames, nous salue-t-il courtoisement avant de s'assoir.
Une volée sonore de flatulences donne le ton.
Ah non. Pas efficaces.
Et moi qui n'ai pas même pensé à prendre un mouchoir ou foulard dans mon sac !
Je bloque ma respiration. J'espère que monsieur-mon-médecin ne sera pas de la même espèce que moi en ce qui concerne les retards, parce que je suis loin de pouvoir concourir au championnat d'apnée.
– Maman, je meurs ! crie le diablotin en essayant de se dégager les mains, sans doute pour les mettre sur son nez.
Sa mère a le teint légèrement bleu, elle non plus ne serait pas une concurrente valable pour le concours d'apnée. Dans un réflexe mué par son profond instinct maternel elle ouvre son sac à main, attrape sa progéniture par la nuque et lui fourre la tête dedans.
– Respire mon chéri, respire ! l'encourage-elle entre deux halètements.
– Maman, j'ai un de tes tampons dans la bouche ! gémit le petit.
Je n'entends pas la réponse de Maman-parfaite, la porte du cabinet s'ouvre et sans attendre davantage, je me rue à l'intérieur. L'apnée n'est vraiment pas mon fort.

Monsieur-mon-médecin me fait signe de m'installer, mais je reste un instant interdite devant la vision qui s'offre à moi. Derrière lui se trouve son sempiternel squelette, qui arbore fièrement une casquette et une écharpe des JO de Río. Je sais où monsieur-mon-médecin a passé ses vacances... Ça explique son bronzage un peu trop accentué. Mais ce n'est pas ça qui me déstabilise. En entrant, j'ai eu l'étrange sensation que le Río-squelette tournait la tête vers moi, ce qui est évidemment impossible étant donné que, dans la définition d'un squelette, l'absence de muscles et de tendons est essentielle. Peut-être est-ce dû au ventilateur qui s'agite dans un coin de la pièce et nous renvoie de l'air chaud.
– Comment allez-vous ? me demande Monsieur-mon-médecin une fois que je suis installée.
– Très bien ! Je pense appeler mon fils Liam... Ou Jamie... Ou Colin... Mais surtout pas Matthew... Ça non... Le Chat du Cheshire a vraiment trop mauvais goût... lui réponds-je en posant mon sac à mes pieds.
– Vous fréquentez toujours ce Chat du Cheshire ?
Le Río-squelette vient encore de bouger. Sa mâchoire s'est refermée, comme s'il désapprouvait. Techniquement, elle ne peut pas se refermer seule. Je le surveille du coin de l'oeil. Rien. J'ai dû rêver. La faute à la canicule, j'ai lu qu'un excès de chaleur pouvait provoquer des hallucinations. Ou alors c'est vraiment le ventilateur...
– Donc, vous êtes enceinte ? poursuit le médecin en ne me laissant pas le temps de répondre à la question précédente.
– Moi ? Mais non ! Pourquoi vous me demandez ça ? pouffé-je à cette idée.
Avec les enfants, je suis aussi habile qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine, et encore, si je devais parier sur celui qui ferait le moins de dégâts, je parierais sur l'éléphant. 
Il fronce tellement les sourcils qu'ils forment maintenant une ligne continue sur son front.
– C'est vous qui venez d'en parler.
– Mais non... Je viens juste de dire que si j'avais un fils, je l’appellerais Liam ou Jamie ou Colin ou Aiden ou Cameron...
Je pose un doigt sur mon menton avant de reprendre.
– En fait, je crois que je pourrais l'appeler : Liam-Jamie-Colin-Aiden-Cameron, avec les tirets vous voyez. Ça serait original non ?
– Vous êtes sûre que vous n'êtes pas enceinte ? insiste-t-il. Les hormones pourraient expliquer ces... errances.
– Oui, je suis sûre.
Il note quelque chose sur le cahier qu'il a ouvert devant lui.
– Vous prenez toujours vos médicaments?
– Quels médicaments ?
Oups...

Note pour plus tard: toujours tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler.

– Ceux que je vous ai prescrits... soupire-t-il.
– Ahhh, ceux-là...
Est-ce qu'on a droit à un joker avec un médecin ? Comme ça, pas besoin de mentir. Mentir c'est mal. J'essaie pour voir.
– Joker !
J'accompagne ce tout petit mot de mon plus charmant sourire.
Au rythme frénétique de sa plume sur la feuille, je me rends immédiatement compte que je n'ai pas donné la bonne réponse. J'essaye encore, hésitante.
Euh... oui ?
La tête du Río-squelette se relève légèrement, comme s'il était outré de mon mensonge. Je lui jette un regard assassin, on ne sait jamais.
La plume s'accélère encore.
Mauvaise réponse x2
Il n'arrête pas d'écrire.

Note pour plus tard: ne jamais mentir à son médecin, après il écrit des tonnes de trucs sur ses cahiers.

Le ventilateur tourne toujours et envoie son flot d'air chaud. Je me frotte les mains sur le tissu de ma jupe, légèrement mal à l'aise.
– D'accord, d'accord, je ne suis pas passée à la pharmacie. Mais je n'en ai pas besoin, me hâté-je d'ajouter.
Il continue d'écrire.
– Vous avez retrouvé le sommeil ?
Si je lui redis "joker", je ne suis pas sûre qu'il apprécie. Je hausse les épaule négligemment.
– J'ai trouvé une super saga sur des highlanders.
Il s'immobilise et me regarde d'un air navré. Oui, d'un air navré, alors qu'il devrait prendre ça pour ce que c'est : une excellente nouvelle ! Les bons livres sur des highlanders sont rares.

Je le vois lever une main pour m'empêcher de continuer.
– Attendez, s'il vous plait.
Il ouvre le tiroir de son bureau et en sort un cahier tout neuf et son téléphone. Que diable fait-il avec son téléphone ? Il ne va quand même pas me faire interner ? Pas déjà !
Il fait défiler ses contacts et la tension monte dans mon corps. Il en sélectionne un. Il me semble avoir aperçu une photo de femme, mais je n'en suis pas très sûre.
– Mon petit sucre d'orge caramélisé, oui, c'est moi, ton Choupinou d'amour...
Ouh là, c'est perturbant ça... Je ne sais pas si je dois m'autoriser à me détendre.
Il poursuit.
– Non, non, tout va bien. Oui, j'ai pensé à allumer le ventilateur. Oui, ma gaufrette à la chantilly, je devrais faire installer une clim, mais tu sais que ça me rend malade. Oui, tu as raison... Ma brioche à la confiture, je suis en train de travailler... Oui, je le ferai, je passerai t'acheter tes bonbons au miel, ma guimauve à la pistache. Je voulais juste te prévenir qu'elle est là. Qui ça, elle ? Mais ELLE, évidemment.
Un cri à l'autre bout de la ligne me fait sursauter. Il est presque aussi effrayant que le Río-squelette.
– Elle est là ?
Je devrais peut-être m'inquiéter et partir discrètement, d'autant plus que le Río-squelette vient de pencher la tête, faisant glisser sa casquette sur le côté. L'air du ventilateur n'a pourtant pas l'air suffisamment fort pour déplacer des parties de son corps, et surtout, il n'est pas du tout orienté vers lui.
– Mon petit banana split à la framboise, tu te souviens ce qu'on a dit, je te mets sur haut-parleur mais tu n'interviens pas, je travaille.
Je réprime un hoquet en le voyant poser son téléphone sur le bureau, le plus près possible de moi.
Et la confidentialité des médecins ? Et s'il se servait de la gaufrette à la chantilly comme témoin pour me faire enfermer ? Il vient d'ailleurs d'ouvrir le cahier neuf.

– Vous me disiez donc que vous aviez trouvé, je vous cite "une super saga avec des highlanders"...
Le mot magique : Highlanders. Quelle douce musique à mes oreilles. Highlanders...
Mes craintes s'envolèrent aussitôt, tout comme la désagréable sensation d'avoir vu les yeux du Río-squelette briller, mes épaules se relâchent
– L'auteure, Sonia Marmen s'est inspirée d'une tragédie historique, le massacre du clan des MacDonalds de Glencoe par le roi d'Angleterre Guillaume III en 1692 et à partir de là, elle a imaginé comment le clan faisait pour se reconstruire après ce drame. Le héros, Liam, a tout perdu. Sa femme et son fils ne s'en sont pas sortis. C'est un homme loyal, courageux et fort, mais profondément meurtri. Il ne vit que pour servir son clan, jusqu'à ce qu'il croise la route de Caitlin. Elle sert au manoir Dunning où elle subit les pires sévices de la part du maître des lieux. Un jour, ne pouvant en supporter davantage, elle le tue et tombe sur Liam alors qu'elle essaie de s'enfuir. Commence leur histoire qui sera faite de larmes, de violence, d'amitié mais aussi d'amour, de beaucoup d'amour.
Je pousse un long soupir et il me semble entendre son écho dans le haut-parleur du téléphone toujours posé sur le bureau.
– Liam est vraiment un personnage incroyable. Il n'est pas parfait, loin de là, mais c'est un homme déterminé prêt à tout pour garder sa deuxième chance près de lui. Caitlin est parfois une tête à claques, mais c'est normal, elle est jeune. L'auteure a fait un énorme travail de recherches sur l'époque pour rendre son récit crédible dans les moindres détails. Plus qu'une romance, c'est une immersion dans un autre temps, dans un univers cruel et impitoyable dans lequel les choix s'imposent parfois d'eux-mêmes, même s'ils sont douloureux.
– Et les autres tomes ? me demande une petite voix à travers le téléphone.
– Mon rouleau de réglisse à la menthe, je travaille, la réprimande le Choupinou-d'amour.
Je ne tiens pas compte de son intervention et souris doucement, comme si le rouleau de réglisse à la menthe pouvait me voir.
– Les autres tomes suivent les descendants de Caitlin et Liam, leurs enfants, puis leur petit-fils. Le tome 2 nous permet d'ailleurs de les retrouver vingt ans après et ne les épargne pas. J'ai beaucoup pleuré dans ce tome, beaucoup pesté aussi, mais la fin... ahhh, la fin... Les autres tomes sont finalement dans la lignée du premier. Tout aussi bien écrits, tout aussi haletants avec des personnages pour lesquels on vibre et on souffre. On pourrait lire chaque tome indépendamment, ça ne serait pas un problème.
Et donc, vous n'avez pas dormi... me dit le Choupinou-d'amour qui est aussi Monsieur-mon-médecin.
– Mais bien sûr que si ! protesté-je avec véhémence.
– Vous êtes sûre ?
Je me mordille la lèvre inférieure.
– Enfin, quelques heures. Juste ce qu'il faut...
Il secoue la tête.
– Bon, vous ne me laissez pas le choix, il va falloir vous interner.

D'un bond je suis debout et je calcule qu'en quatre foulées je serais dehors. Peut-être cinq. Monsieur-mon-médecin est un brin bedonnant, il ne doit pas être rapide, sauf si son passe-temps favori est le rugby et qu'il est un as du placage, mais je suis prête à courir le risque. Je me baisse pour attraper mon sac quand je remarque que les yeux de Río-squelette brillent beaucoup plus franchement. Il est impossible que ses yeux brillent. Essentiellement parce qu'en plus de ne pas avoir de muscles et de tendons, il n'a pas d'yeux. Il n'a que des orbites vides, ils ne peuvent donc pas briller, c'est une évidence, une logique imparable.

Mais pourtant ils brillent.
Beaucoup.
De plus en plus.
Merdum Cacadum, ça sent mauvais, et je ne parle pas du monsieur-aux-problèmes-gastriques.

Je recule de quelques pas, la porte me semble bien lointaine tout à coup. Monsieur-mon-médecin semble aussi figé qu'une statue. J'irais bien vérifier si c'est le cas, mais je m'abstiens. Une question de priorités.

La lumière qui sort des orbites de Río-squelette vient l'englober totalement et semble envahir peu à peu la pièce.
Ça me rappelle quelque chose... 
Non ! Pas encore !
Et je suis seule!
Merdum Cacadum puissance 1000.

Je n'ai pas le temps de dégainer mon téléphone qu'une masse sombre apparaît dans le halo de lumière. Je la reconnais.

Les Dieux-de-tous-les-trucs-de-la-mer-et-de-la-terre.

Note pour moi-même: penser à prendre un sac plus grand et du nutella pour avoir Jimmy la gargouille toujours avec moi.

Est-ce que si je me cache dans la poubelle sous le bureau ils me verront ?


PS: Finalement, c'était bien une chronique de la liste noire des livres interdits!

lundi 22 août 2016

Maudit Karma, David Safier

Animatrice de talk-show, Kim Lange est au sommet de sa gloire quand elle est écrasée par une météorite. Dans l'au-delà, elle apprend qu'elle a accumulé beaucoup trop de mauvais karma au cours de son existence. Non seulement elle a négligé sa fille et trompé son mari, mais elle a rendu la vie impossible à son entourage. Pour sa punition, Kim se réincarne en fourmi. De ses minuscules yeux d'insecte, elle voit une autre femme la remplacer auprès de sa famille. Elle doit au plus vite remonter l'échelle des réincarnations.

On ne le dit jamais assez, il faut soigner son karma... On ne sait jamais ce qui peut nous arriver. Prenez par exemple la probabilité qu'un lavabo d'une station spatiale russe nous tombe sur la tête... Probabilité nulle me ferez-vous remarquer... Eh bien parlez-en à Kim Lange, l'héroïne de Maudit Karma, on verra ce qu'elle en pense ! Elle vous dira qu'elle aurait bien mieux fait de s'occuper de sa fille, de voir son mari autrement que comme un meuble de la maison et de ne pas le tromper avec un présentateur sexy, de ne pas être désagréable avec les gens, parce que la probabilité nulle, elle l'a écrasée. Paf, comme ça. Paf, c'est tout. 

Elle insistera également sur le détail non négligeable des points de karma qu'on peut perdre facilement. Parce que si on en a trop perdu et qu'un lavabo russe nous tombe sur la tête, on est mal, très mal. On pousse un cri de douleur, puis un soupire d'extase, que la lumière est belle ! Et après ? La jolie lumière, elle nous renvoie à la case départ. Et sans toucher le jackpot. Si notre karma est à zero, on recommence. Et dans ces cas-là, on se dit qu'on aurait vraiment dû faire attention à ces satanés points.

David Safier est un auteur que j'aime vraiment beaucoup, ses romans sont légers, plein d'humour et ont toujours une morale facile à saisir. Ils font sourire, rire aussi, parfois pleurer, toutes ces émotions qui font que les pages défilent et que, sans qu'on s'en soit rendu compte, la dernière est déjà là.

Kim est l'archétype de la personne que l'on déteste mais que l'on finit par aimer. C'est quelqu'un d'égoïste, d'égocentrisme, qui va devoir apprendre à vivre pour les autres et non uniquement pour elle si elle veut caresser le doux espoir de revoir sa fille. Les leçons qu'elle va devoir apprendre vont être dures, douloureuses (et certaines vraiment originales !), sa route va croiser des personnages hauts en couleurs (Casanova est... exceptionnel, et Bouddha... vaut son pesant de cacahouètes, et je ne parle pas de son tour de taille) et le final du roman réserve son petit lot de surprises. Un roman bien écrit qui fait beaucoup de bien !

vendredi 19 août 2016

Monsieur l'écrivain, Joachim Zelter

« Selim Hacopian a écrit un livre. » Un écrivain renommé reçoit un beau jour ce curieux mail, envoyé par un drôle de personnage qui s’exprime à la troisième personne et souhaite que l’on « jette un coup d’euille » à ses écrits. L’écrivain refuse poliment, mais quelques jours plus tard, l’inconnu l’interpelle au détour d’une rue et, à coup de « Monsieur l’Ecreuvain », finit par obtenir gain de cause. L’écrivain s’engage alors, sans le savoir, dans une entreprise littéraire de longue haleine, à laquelle il va se consacrer corps et âme.
Entre les étagères poussiéreuses de la bibliothèque, autour d’un café ou dans le minuscule appartement de Selim, il apporte des corrections, prodigue des conseils, souffle des idées de nouvelles au jeune homme (lui qui a vécu en Égypte, pourquoi ne pas écrire sur les chameaux ?) qui, bien vite, est contacté par une prestigieuse maison d’édition.
Le succès d’Hacopian grandit à mesure que celui de l’écrivain, ayant délaissé ses propres romans, décline. Il lui vient alors une idée : pourquoi n’utiliserait-il pas Selim pour publier sa propre prose ?

"Selim Hacopian a écrit un livre".
Voici comment commence le courrier que reçoit le narrateur.
"Selim Hacopian a écrit un livre."
Oui... et ? pense-t-il non sans un certain cynisme.
Il est habitué à ce que des écrivains en herbe lui envoient leur manuscrit pour avoir son avis, après tout, c'est la rançon de la gloire que d'être un écrivain.
Mais voilà, "Selim Hacopian a écrit un livre".
Débordé, le narrateur n'y prête pas attention et ne prend pas la peine de répondre. Mais le destin est facétieux et le monde aussi petit qu'un mouchoir. Il croise le fameux Selim dans la rue. Monsieur l'Ecreuvain...
"Selim Hacopian a écrit un livre".
A partir de cette rencontre, le narrateur perd tout contrôle sur les évènements. Il se retrouve avec un CV dans les mains auquel il va apporter maintes corrections, puis l'ébauche d'un roman, parce que "Selim Hacopian a écrit un livre".

C'est un roman court que nous propose Joachim Zelter, mais il n'y avait pas besoin de plus de pages pour nous livrer ce portrait acide du monde littéraire. Ecrivains, éditeurs, critiques littéraires, personne n'est épargné dans ce monde où les repères ont changé. Qu'est-ce qui compte le plus désormais : le roman ou l'auteur ; le fameux cv que le narrateur corrige et recorrige ou le texte lui-même ? Qu'est-ce qui est le plus important, la qualité du récit, de la langue ou l'expérience de vie de l'auteur ?

La plume est vive et décrit parfaitement cette spirale dans laquelle tombe "Monsieur l'Ecreuvain", ses émotions ambigües, le mépris d'abord, puis le désespoir en passant par la lassitude et l'incompréhension. Le rythme se fait l'écho de cette téléréalité que devient l'univers du livre et de ces critères qui changent. Ces pages nous livrent autant de photographies de cette société qui évolue : sur l'écriture évidemment, la médiatisation, la starisation, mais aussi l'immigration, l'intégration et l'importance de la langue.

Pour certains, le récit paraîtra sans doute un peu extrême, j'en entends même s'exclamer un "Il ne faut pas exagérer quand même!" retentissant. Mais finalement, si on s'attarde un peu sur le processus de fabrication de certains bestsellers, on se rendra compte que ce n'est pas totalement infondé.




vendredi 12 août 2016

Faute avouée...

... à moitié pardonnée?
J'ai déjà évoqué, il me semble, ma légère tendance à acheter en masse des livres. Légère hein, rien de dramatique, je vous assure. Et ça se produit toujours contre ma volonté. Parfois, quand je me promène sur le site d'une librairie d'occasion, mon doigt prend son indépendance, et ça donne ça:


Reçu en juillet.

Et puis si après les amies (suivez mon regard vers Melliane) s'y mettent, on rajoute ça:
Vous conviendrez quand même que je ne suis pas seule responsable de la rentrée massive de livres chez moi, entre mes amies et mon doigt qui prend son indépendance, c'est dur de lutter. J'ai même dû racheter des étagères à cause d'eux, oui, oui, c'est vous dire si je n'y suis pour rien et combien je suis consciencieuse. En plus, ce sont, pour la plupart, des livres sans Domicile Fixe que j'héberge parce que sinon ils finiraient dans la rue, ou pire, sur un bûcher, comme à l'époque de l'Inquisition. Vous vous rendez compte? En fait, je fais une bonne action...
(Comment ça je m'égare encore? Ah, oui...)

Bon, revenons à nos moutons livresques. Ce matin (ou plutôt cette nuit, après avoir fini la lecture de Rock Chick offert par Melliane, lecture fort sympathique d'ailleurs, même si elle a rogné sur mes heures de sommeil et que je ressemble à un panda ce matin à cause de mes cernes. On en reparlera...), j'ai eu une révélation. Plutôt que de les dissimuler honteusement en craignant le courroux des Dieux, je vais reconnaître mes achats compulsifs, parce que si une faute avouée est à moitié pardonnée, ça veut dire qu'en fait, je n'ai acheté que la moitié de mes livres (vous comprenez ma logique? Evident n'est-ce pas?)

Voilà, c'est fait. J'ai reconnu. 

Donc Dieux-de-tous-les-trucs-de-la-mer-et-de-la-terre, je suis sur le chemin de la rédemption, oui, oui, promis! Alors soyez indulgents avec moi!
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vendredi 5 août 2016

Le livre de Perle, Timothée de Fombelle

Il vient d'un monde lointain auquel le nôtre ne croit plus. Son grand amour l'attend là-bas, il en est sûr. Pris au piège de notre histoire, Joshua Perle aura-t-il assez de toute une vie pour trouver le chemin du retour ?

Je viens de refermer ce petit bijou, et une fois n'est pas coutume, je vais me faire l'écho d'une autre chronique, celle de Lup'appassionata.

Moi aussi je veux croire qu'un tel monde existe.
Moi aussi je veux croire qu'il y a des fées et des objets magiques.
Moi aussi je veux croire qu'on peut se transformer en belette, en lionne, en hirondelle, en poussière de souffre.
Moi aussi je veux croire que l'amour défie le temps, les mondes...
Moi aussi je veux croire qu'il y a encore des gens pour croire, des gens prêts à tout pour que le rêve existe.
Moi aussi je veux croire que l'écriture est témoignage, que l'écriture fait vivre, que l'écriture donne vie.
Moi aussi je veux croire qu'il y a d'autres livres comme cette petite perle qui me feront autant vibrer, autant trembler...
Moi aussi je veux partir dans la quête de ces livres...

Et moi aussi, Lupa, je veux croire en cette citation que tu as si bien reprise:

Chaque fois que quelqu’un dit : « Je ne crois pas aux contes de fées », il y a une petite fée quelque part qui tombe raide morte. - 
J. M.Barrie, Peter Pan

... parce qu'un monde sans rêves, sans magie, est un monde terne, et que je ne suis pas sûre d'avoir envie d'y vivre.

Merci Lupa pour cette lecture hors du temps et de l'espace, sans ta chronique je n'aurais pas rêvé.

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