dimanche 25 juin 2017

Café ! Un garçon s'il vous plaît ! Agnès Abécassis

Tout commence par un bon café. Il suffit de demander. Sauf quand on se goure dans la formule… vous avez commandé un garçon ? En voici un sur un plateau, se dit Lutèce, en retrouvant la trace de son premier amour. Mais le temps aura-t-il su préserver la fraicheur de leurs souvenirs ? Et puis arrive Tom, le flic tendre. Quand Régine le trompe et qu’il le découvre, par dépit, il la trompe aussi. Avant de réaliser qu’elle n’avait pas fauté… Ava, c’est l’artiste qui aime trainer dans les cafés pour y chercher l’inspiration. Un jour, on lui commande le portrait d’une actrice célèbre. L’occasion pour se carrière de décoller ! Mais rien ne se passe comme prévu, et elle qui pensait boire du petit lait risque de devoir attendre un peu avant de sabrer le champagne.

Je l'ai déjà mentionné sur ce blog, mais parfois, je suis comme le lapin d'Alice au Pays des Merveilles : je cours, je cours, je cours. Ce qui explique mon absence de chroniques ces derniers temps. Je n'ai pas arrêté de lire, non, non, ma consommation livresque n'a pas été atteinte de sécheresse aigüe, loin de là (mon banquier en aurait pourtant été heureux !), mais j'ai dû m'absenter de la blogosphère si je voulais pouvoir voler quelques heures de sommeil à mes journées bien trop remplies.

Même les cafés avec mes copines ont été limités. J'aurais pourtant aimé pouvoir, comme Ava, aller dans un bar, et demander un garçon (à vrai dire, j'en ai déjà un formidable à la maison), pardon, demander un café...  Mais maintenant, ça va mieux, et me voici (Le Chat, prépare-toi à une nouvelle offensive sous peu, non, non, ce ne sont pas des menaces, juste que Colin est quand même le meilleur...).

J'ai eu l'impression de retrouver dans ce roman de vieux amis : Lutèce, Ava, Régine, Tom, et même Félix ou Perla que j'avais déjà croisés dans « Le tendre baiser du Tyrannosaure ». Que j'ai été contente de les revoir! Je les avais beaucoup aimés, et m'attarder sur ceux qui étaient secondaires a été une parenthèse agréable dans mon rythme de folie. 

Lutèce n'est pas une grand-mère comme les autres, si vous en doutez, demandez à son petit-fils, Félix. Elle joue dans un groupe de rock, se connecte tous les jours à internet et pense bien plus qu'elle ne le voudrait à son ancien amour, Saül, celui qui l'a abandonnée en lui brisant le cœur. Jusqu'à ce qu'elle apprenne, au détour d'une revue, qu'il a perdu sa femme. Ni une ni deux, un message facebook plus tard, et le contact est renoué. Enfin, pas comme elle le voudrait.

Régine et Tom, le meilleur ami de Félix, filent le parfait amour. Du moins en apparence. Parce que le manque de confiance de Tom est là, tapi dans l'ombre, près à bondir au moindre doute. Et si ce doute se concrétisait ?

Ava est seule, mais heureuse. Artiste bientôt reconnue, elle vit bien son célibat, jusqu'à ce que...

Les histoires se croisent et s'entrecroisent dans ce roman, au gré des vagues de la vie. Tantôt touchant, tantôt drôle (certains passages sont hilarants, le moment de la fête est juste waouh...), le récit nous immerge dans le quotidien de ces drôles de personnages qui sont tellement imparfaits qu'ils pourraient être nous. Tom et ses incertitudes, Ava et ses peurs (et sa malchance!), Lutèce et son cœur brisé qu'elle cache derrière une façade de bonheur. Et au fil des pages, ces personnages vont aller vers leur destin, vers leur bonheur.

J'avais beaucoup aimé « Le tendre baiser du tyrannosaure », et j'ai tout autant aimé « Café ! Un garçon s'il vous plait ». C'est un roman qui m'a fait sourire, m'a arraché quelque larmes, qui m'a fait vivre et m'a fait me sentir bien.


Du bonheur en pages dont j'avais bien besoin !

vendredi 9 juin 2017

La rue, Ann Petry

Dans le Harlem des années 1940, le combat acharné de Lutie Johnson, jeune mère célibataire noire, qui tente de s'élever au-dessus de sa condition. À Harlem, dans les années 1940, une jeune mère célibataire noire se démène pour offrir à son fils, Bub, une vie digne de ce nom.

En approchant de sa station, elle se disait qu'elle n'avait pas peur de la rue, ni de son influence. Elle était décidée à les combattre. Des rues comme la 116e, réservées aux nègres ou aux mulâtres – avec tout ce que cela signifie – avaient fait de Pop un vieil ivrogne timide et tué Mom quand Lutie était encore tout bébé.

Dans cet immeuble où elle habitait actuellement, c'était aussi la rue qui avait amené Mrs. Hedges à faire de sa chambre un bordel. Et le concierge, la rue l'avait maintenu dans les bas-fonds, loin de l'air et de la lumière, jusqu'à ce que l'horrible obsession de la chair l'ait dévoré. Et c'était encore la rue, ou d'autres semblables, qui avait conduit Min, la femme qui vivait avec lui, à cet état d'atonie et de molle résignation qui la faisait ressembler à une lavette humide. Mais rien de tout cela ne lui arriverait à elle, Lutie, parce qu'elle avait la volonté de lutter sans relâche.

Lutie Johnson n'a qu'une idée en tête : l'avenir. Elle rêve de donner un avenir à son fils, Bub, et bien que la vie ne l'ait pas épargnée, elle est décidée à y parvenir, quitte à faire des sacrifices. La première étape consiste à quitter l'appartement qu'elle partage avec son père, un alcoolique notoire, et sa nouvelle compagne pour avoir son propre logement. Malheureusement, son budget lui impose des limites, elle devra donc s'installer dans la 116è rue de Harlem. La rue des noirs.

C'est un portrait sans concession de l'Amérique des années 40 que nous livre Ann Petry, un récit dur, brut, comme cette rue où blancs et noirs ne se fréquentent pas, ou les uns et les autres ne font que survivre. Luthie est amenée à y croiser une galerie de personnages ambigus, où la frontière entre le bien et le mal est ténue. Le concierge et son regard vicieux porté par sa folie, Mrs Hedges qui passe son temps accoudée à son balcon à observer tout ce qui se passe dehors, tandis que ses filles apportent de la satisfaction à des hommes de passage, même des hommes blancs...

Luthie est un personnage fort, qui derrière les rêves frivoles dus à son âge, cache un être courageux, prêt à tout pour assurer l'avenir de Bub, son fils. A tout ? Non, pas exactement. Jamais elle ne se prostituera, jamais elle ne travaillera pour Mrs Hedges. Jamais elle ne fricotera avec ces blancs qui la regardent de haut, ces blancs qui la méprisent. Au fil des pages, elle se bat sans relâche et franchit les embûches, sans céder au découragement. Le travail va payer, le travail sera l'ascenseur social dont elle rêve, et certainement pas sa beauté, comme le prétend Mrs Hedges. Oui, elle en est convaincue, le monde ne peut pas être si laid.

J'ai adoré ce roman pourtant sombre dans lequel luit malgré tout la flamme de l'espoir, celle de Luthie qui porte le récit. Les personnages sont très bien travaillés et m'ont fait ressentir une myriade d'émotions parfois contradictoires. Pour Mr Jones, le concierge, le verdict a été sans appel : du dégoût. Sa folie ne pouvait rien susciter d'autre. Mais pour Mrs Hedges, rien n'a été simple. Ce personnage m'a fascinée... Je n'ai pas réussi à trancher. Ordure ? Victime ? Difficile à dire, mais cette dualité résume à elle seule l'âpreté de ce récit et la violence de cette époque. Un petit bijou sur l'Amérique des années 40.